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Depuis
deux ou trois ans déjà, Alice aurait pu prendre sa retraite mais son goût du
travail, son besoin d’échanges avec le public, la peur de la solitude l’en a
dissuadée. Chaque jour, elle recule davantage mais la direction décide d’une
réduction de personnel. Alors elle n’a plus le choix. Elle est gentiment, très
gentiment poussée vers l’extérieur. Elle est remerciée chaleureusement pour ses
bons et loyaux services durant plus de quarante ans. Comme tous les retraités
qui, de bon gré ou contre mauvaise fortune, quittent l’entreprise, elle est
conviée au grand «pot» d’adieu. Elle est
là, la larme à l’œil, tout à côté du directeur
souriant qui discourt sur les difficultés du moment et sur la chance qu’ils ont,
de partir dans de si bonnes conditions, de prendre leur retraite, qu’il leur
souhaite longue et bonne.
Elle est
là, en face de la table du buffet, elle qui d’habitude, se trouve derrière,
prête à servir les boissons ou à présenter les mini-toasts et les petits-fours.
Elle est là, mise à l’honneur car c’est la plus ancienne de l’Etablissement. Quarante-six ans déjà que, chaque matin, elle
répond aux appels et dispatche les communications. Elle en a vu des évolutions,
des améliorations disait-on! Des
changements de locaux, chaque fois un peu plus spacieux, un peu plus
impersonnels, plus modernes, plus sophistiqués, avec davantage de
matériel : standard, photocopieuse, fax,
machine à timbrer, etc… où chaque
fois, il faut s’adapter et aller plus vite, en faire plus…
Elle en a
vu passer des chefs, des employés, des ouvriers ! En ce moment, elle regarde
les présents, un à un, Elle les connait
tous : leur fonction, leur caractère, leurs humeurs et leurs amours. Leurs
paroles défilent dans sa tête :
« Alice, Maurice va m’appeler, je suis à l’atelier 6, » -«
Alice, ma belle, j’ai une nouvelle conquête, je suis au 2° étage », « Alice,
ma mère est malade, n’oublie pas ! Passe- la moi au garage !» Alice a
l’oreille fine, elle reconnait chaque voix, jamais elle ne se trompe entre
l’épouse et l’amie de passage.