Margot
est ma meilleur copine, je suis toujours fourré chez elle et, plus précisément,
avec elle dans son grand grenier qui nous sert de local de prédilection et où
personne, en général, ne vient nous déranger. Y sont entreposés jouets et
analogues, tels que guignols et pantins, masques et déguisements, babioles et
colifichets. Cela en fait un vaste théâtre où nous pouvons folâtrer jusqu’à ce
que des sommations de plus en plus sonores et menaçantes nous en extirpent.
De deux
ans mon aînée et lectrice acharnée de la Comtesse de Ségur, elle mène le jeu
et, bon gré mal gré, m’en impose : elle sera châtelaine et moi page,
maîtresse de maison et moi valet, professeur et moi élève, juge et moi inculpé,
Blanche-Neige et moi tous les sept nains pour la servir.
Le cinéma
est pour nous une source d’inspiration. Ainsi, d’une séquence tirée du film
« La Momie », Margot singe l’acteur vedette, Boris Karloff. Plus
précisément, elle se tient debout, adossée contre le mur, les avant-bras
croisés sur sa poitrine et les yeux clos. Quant à moi, accroupi et coiffé d’un
casque colonial, je joue le rôle de l’égyptologue déchiffrant la malédiction
propre à réveiller la momie. Margot décroise avec lenteur ses bras, les
laissant retomber à ses côtés puis ouvre grand les yeux, dardant un regard qui,
immanquablement, me glace d’épouvante… et j’en redemande.
Une fois,
interrompant soudain je ne sais quel scenario, Margot m’interpelle à
brûle-pourpoint :
-
Au
fait, pendant que j’y pense, j’aimerais bien savoir si tu as l’intention un
jour de te marier avec moi. Répond par oui ou par non !
-
Euh…
Oui.
-
Très
bien ! Alors il faut vite nous fiancer afin que tu ne te ravises pas dès
que j’aurai le dos tourné.
-
Et
quand on sera fiancés, je ferai quoi ?
-
C’est
pas difficile, tu devras toujours me protéger.
-
Et
toi ?
-
Moi ?
Quelle question ! Mais c’est la même chose voyons : je devrai
toujours me faire protéger par toi.
-
Alors
si c’est comme ça, d’accord, nous sommes fiancés.
-
Hé,
ne vas pas si vite, tu oublies les fiançailles. Nous allons y procéder tout de
suite.
Côte à côte devant l’autel, une malle poussiéreuse
surmontée d’un bibelot ébréché, nous
nous prosternons puis, agenouillés, la
main dans la main – l’autre étant sur la tête -, nous
nous proclamons solennellement
fiancés l’un à l’autre, à charge pour moi de la protéger
toujours et, à charge
pour elle de se faire toujours protéger par moi. Alors d’une voix
caverneuse,
Margot, prononce l’indispensable formule magique de consécration que je
répète
après elle : « Alibaba, pyjama, kéktuféla »