................................................................
J’avais adoré
prendre des gardes avec elle ; elle
était très bon enseignante. Très douce, elle n’hésitait pas quand c’était
nécessaire à se faire entendre mais jamais en élevant le ton. J’avais été
choisie pour intégrer l’équipe de Saint-Antoine, là où j’avais fait mes études.
La douceur de son visage était en plein accord avec celui de son parler. Nous
nous étions croisées plusieurs fois et appréciions de travailler ensemble mais
nous nous découvrîmes vraiment lorsque l’on nous mis en binôme pour une année
scolaire. Tout était si simple avec elle, présente dans les moments délicats,
rassurante pour les parents en toute occasion. Elle n’en était pas moins
quelqu’un de gai et joyeuse, toujours prête à faire une farce ou une blague. Je
ne l’ai jamais vu rouspéter, elle était mariée et avait deux enfants un peu
plus âgés que les miens. Comme moi elle tricotait quand la nuit était calme
mais nous étions aussi capables de parler des heures durant d’un film, d’un
livre ou d’une exposition. Retrouver Elisabeth pour une garde de 24h n’était
pas l’équivalent d’aller travailler. Ce n’est pas le temps qui la rend
meilleur, je crois tout simplement que c’était une bonne personne, tout le
monde l’appréciait. Cela faisait maintenant un bon moment que nous étions en
binôme et que ce binôme fonctionnait particulièrement bien. Nous n’avions pas
besoin de parler pour nous comprendre et dans les moments délicats c’était une
vraie valeur ajoutée. Nous n’hésitions pas à nous demander conseil sur les patientes que nous suivions. Comme
j’adorais mon job exercé de surcroit avec une collègue géniale, je ne voyais
pas le temps passé. Ce n’est qu’à la rentrée que nous fûmes appelées l’une
après l’autre chez le chef de service
avec la cadre supérieure. C’est avec moult précautions orales qu’on nous
annonça qu’il était temps de scinder le binôme. La pilule eût du mal à
passer….. Mais il fallut bien se rendre aux évidences qui nous furent avancées.
Les autres corps de métier comme l’anesthésiste, le pédiatre, l’interne et le
chef de garde construisaient leur liste de gardes en fonction de la notre et ce
n’était pas équilibré. Il fallut bien faire contre mauvaise fortune bon cœur.
Cela fut difficile, nous nous retrouvâmes ensemble en garde ou en formation
mais c’est le meilleur souvenir de ma vie professionnelle. Nous communiquâmes
quelques temps encore une fois que j’eu quitté Saint-Antoine puis chacune
absorbée par sa vie professionnelle et sa vie personnelle nous avons perdu le
fil. Si tu penses parfois à moi, Elisabeth, sache que je ne t’ai jamais oublié.
Fabienne
...............................................
J'ai toujours eu l'habitude de
me lever tôt et c'était encore plus vrai lorsque je travaillais. Je participais
à des réunions tardives et j'étais chargée d'en établir le compte-rendu,
travail qui devait être fait et diffusé le plus rapidement possible à
l'ensemble des services, ainsi qu'à la direction. Et même en faisant vite
c'était insuffisant, l'idéal aurait été que ce compte-rendu soit déjà prêt
avant même la réunion, un peu comme lorsque l'on vous dit qu'un travail était à
faire pour hier ! En effet, dès
l'arrivée des responsables dans les services le lendemain, mon téléphone
sonnait, déjà on me demandait quelle avait été la décision arrêtée pour le
dossier qu'ils avaient soumis.
Ainsi j'arrivais souvent avec
une heure d'avance le matin, je me trouvais alors en compagnie des agents de
service qui entretenaient les locaux avant l'ouverture des bureaux. Elles me
connaissaient bien, mon bureau était déjà nettoyé, je m'installais et me
mettais au travail, sans gêner le leur. C'était le moment où j'avançais le
mieux, sans être dérangée par qui que ce soit, pas même le téléphone. Et même après une courte nuit de sommeil,
j'avais la tête reposée et les idées fraîches, les mots venaient plus vite,
j'aimais bien ces moments de calme.
Quand je voyais approcher
l'heure d'arrivée du personnel, je faisais une pause, le temps de préparer le
café pour ces messieurs-dames. Personnellement je ne prenais jamais de café au
bureau mais j'aimais faire plaisir, même si je n'ai jamais compris qu'on se
jette sur un café en arrivant, personne ne prenait-il donc son petit-déjeuner
avant de partir. En tout cas le breuvage était fort apprécié et j'étais
contente d'avoir rendu service.
Comme partout, le courant passe
mieux avec certains collègues qu'avec d'autres, ensemble on formait un petit
groupe de fidèles. A certains moments on se faisait des petits plaisirs, des viennoiseries pour accompagner le café,
des friandises pour grignoter, ou encore des fleurs pour certaines occasions.
Un jour de décembre, comme
d'habitude j'avais préparé le café et ce fût une sacrée surprise pour moi quand
je fus appelée pour recevoir un cadeau de mes collègues. C'était mon anniversaire,
il n'avait pas été oublié mais le cadeau me laissa quand même sans voix. Une
fois sortie de son emballage, j'ouvris la boîte où je découvris une jolie
chaîne en or agrémentée d'un pendentif, en or également. Il se composait d'un alignement formé d'un un
petit cœur, des petits brillants, et se terminait par une perle de culture.
J'avoue que j'ai été extrêmement touchée par ce cadeau que je n'aurais jamais
imaginé recevoir en ce lieu, on était loin du classique bouquet de fleurs qu'on
s'offrait habituellement les unes, les autres.
Et rien n'a changé après tant
d'années, chaque fois que je regarde ce bijou je ressens toujours la même émotion en repensant
à ces collègues, comme quoi le milieu du travail ne laisse pas que de mauvais
souvenirs.
Paulette
.....................................................
Ils
ne formaient qu’une petite équipe de cinq personnes et s’entendaient à
merveille. Point de jalousie, chacun ayant un travail bien spécifique. Dans ce recoin sombre un peu à l’écart, ils
n’étaient pas les mieux logés, mais cela leur permettait sans doute de garder
une certaine convivialité, loin des open-space du futur. C’était un plaisir de
se retrouver chaque matin pour une longue journée de travail, neuf heures à
l’époque ! Après de joyeuses salutations, ils se mettaient rapidement au
travail, chacun poursuivant leur tâche pourtant austère, dans le plus grand
silence, les uns penchés sur des chiffres à longueur de journée et les autres
écrivant dans de grands registres à la couverture noire. Mais à la courte pause,
on les entendait rire et chahuter. Ils se détendaient, racontant des bons mots
ou quelques histoires drôles autour d’une tasse de café, certains fumaient
alors leur cigarette, tout en commentant quelques événements de l’actualité ou
de l’entreprise. Chacun gardait une certaine réserve quant à sa vie privée. A
l’heure du déjeuner, quatre partaient manger ensemble à la cantine. A tour de
rôle, l’un restait au bureau, prenant son repas sur place.
Il
ne manquait pas non plus une occasion de se réjouir, fêtant en fin de journée, leur
anniversaire ou quelques fêtes dont ils détenaient le secret. Ils étaient
toujours de la partie quand il s’agissait d’organiser quelques festivités,
promotion, médailles du travail ou départ à la retraite d’autres salariés de
l’entreprise. Leur entente cordiale dura
des années.
Le
travail évolua avec le temps et l’apparition des ordinateurs. Sournoisement Le
climat se détériora peu à peu, les uns s’adaptant moins bien que les autres Et
puis il devint délétère quand courut la rumeur de la réduction des effectifs et
ils n’y échappèrent point !
Et
pourtant que de bons moments, ils avaient passé ensemble pendant tant
d’années !
Marie-Thérèse
.............................................................
Après une longue semaine à me
pencher sur cette délicate question, je reste toujours sur le mode interrogatif
et je prendrai un chemin alternatif et suggestif. Et je citerais bien cette
phrase mythique «Sous le pont Mirabeau coule la Seine...» Car il en a coulé des
milliers de litres sous ce pont quand dans les services à «l'Hôtel de Dieu»,
petit patronyme affublé par une dame d'un ton anodin qui ne savait pas si bien
dire. Avait-elle des dons divins pour prédire l'avenir ou avait-elle deviné la
fonction première et le devenir de ce magnifique hôpital classé au même titre
que la vieille dame de 700 ans qui vient de brûler au 3/4 à ses côtés ? Pauvres
Quasimodo et Esméralda obligés de quitter ce lieu en cette semaine Sainte et de
rejoindre le fourgon des Pompiers recevant les jours suivant une médaille d'or
du mérite pour leur dur labeur. Des milliers de badauds les larmes aux yeux regardant
la flèche se consumer et s'écrouler dans un sifflement. La photo a fait le tour
du monde sous les regards sidérés. Le coq gisant dans des bosquets sera
retrouvé sans avoir eu le temps de pousser son dernier cocorico.
Sur le parvis, je me revois le soir
avant de prendre mon service au milieu des musiciens de rues, des petits
chanteurs «à la croix de bois» et des nombreux touristes profitant des derniers
rayons du soleil illuminant les deux tours sans pareil. C'était le beau et le
bon temps, Je ne savais pas encore qu'un jour nous serions obligés de quitter
les arches de ce magnifique édifice qui comme un hôtel abritait des milliers de
pas de jour comme de nuit pour aborder dans un navire usine : une autre vie.
Oui, Une vraie galère. Et le personnel bon gré mal gré a dû se courber aux
exigences et aux cadences infernales des «temps modernes» avec fermeture de
lits et réduction de personnel grignotant chaque nuit et chaque jour nos forces
vitales.
Force étant de tenir à tout
prix et de nous ménager dans la mesure du possible... Impossible de nous
dédoubler et de faire le binôme préconisé en amont. Chacune ne comptant que sur
elle-même pour ne pas sombrer dans le burn out : les conditions de travail
n'étant pas au zénith comme dans bien d'autres corporations. Comment ne pas
sombrer dans les eaux sombres de la Seine proche du Port-Royal? La nuit, tous
les chats sont gris et il ne nous est pas donné la joie de contempler la
superbe du palais rutilant du siècle des lumières sous les lustres.
Personnellement je n'en connais que le RER. Ensuite, à son et mon rythme, dans
les galeries et vagabondant entre les deux ailes, portée sur des jambes souvent
fatiguées et flageolantes : la solitude se révèle souvent au rendez-vous. Les
plus importants étant ceux de prise et de fin de service lors d'échanges entre
collègues de même grade et toutes générations, milieux, ethnies, religions
confondus et souvent disparates... Un temps fort ou il s'agit en des mots
justes et concis de partager nos impressions, ressentis, ressentiments, relevés
d'informations vitales et réflexions : le tout formant des transmissions. Et il
me semble qu'avec le temps nous avons tissé un système de communication qui
remplacerait aisément le morse et les SMS. La communication comme un grand
débat au fil des années ayant porté ses fruits et en des efforts communs, nous
nous efforçons de faciliter le travail de la collègue qui nous remplacera. Tel
est mon but dans la convivialité, la bienveillance, la connivence et
l’ingéniosité. L'écoute et la bienveillance étant au rendez-vous en ménageant
les susceptibilités. Un travail de patience, de réflexion dans la temporalité.
Les petites et belles attentions me marquent comme de me préparer ma feuille de
transmissions. Le professionnalisme et l'amour du travail bien fait aussi.
Chacune et chacun (à part de
rares exceptions) donnant le meilleur d'eux-mêmes et se bonifiant avec le temps
comme le bon vin, ou le Champomy qui ponctue l'approche des fêtes et des
réunions entre collègues. A Pâques, en ce moment, nous nous partageons des
boites de chocolat entre les trois équipes et à certaines occasions nous avons
l'extrême satisfaction d'être récompensées pour «nos bons et loyaux
services»... A titre personnel. Et à ce moment-là se révèlent les vrais
tempéraments et les modes de partage sur fond de générosité de cœur et
d'esprit. Et de se sentir, d'imaginer,
ou de clamer que l'on est « une bonne fille » ne signifie pas que l'on en est
une. Merci à celles qui ont su garder un bon esprit malgré leur dur labeur.
Claudine
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire