lundi 21 janvier 2013

D'APRES UN TABLEAU D'AUGUSTE RENOIR...

Le déjeuner des canotiers, Auguste Renoir, Huile sur toile, 1881

Que m'inspire ce tableau ? Je dirais : "Que c'est beau !" D'autres vous répondront d'emblée :
"Mais, c'est Le déjeuner des Canotiers !" Merveilleux tableau ! L'un des chefs -d'œuvres d'Auguste Renoir. Ce peintre internationalement reconnu, en aurait beaucoup réalisés : par centaines… jusqu'à 78 ans ! Tout au long des années, tout au long de sa vie, de peindre il n'a jamais cessé ; de ses doigts engourdis par les rhumatismes, entourés de multiples bandelettes. Jusqu'à sa dernière heure, où dans son lit, il désirait ardemment restituer la superbe lumière venu de l’extérieur, les frileux rayons de soleil pénétrant l’atmosphère.
Et de ses pauvres doigts ankylosés et meurtris, à cette belle lumière, il a souri.
M. Renoir est un artiste, mais sa vie n'a pas toujours été gaie. Il a vécu des années tristes.
En pleine période impressionniste, il n'expose plus avec ses amis et se fait plus conformiste, il revient au Salon officiel. Changement de statut sans pareil qui lui ouvrira la porte du succès et servira son art pour la postérité. Il réalisera alors de nombreux portraits de personnages prestigieux qui lui vaudront une belle notoriété, renfloueront ses finances - ce qui a son importance - et consolideront ses appuis auprès de la haute société.
C'est à ce moment, en 1880 que son art s'affirme et se dessine, dans ses lignes. Tout en contrastes, M. Renoir marque les contours de son destin et le souligne dans cette œuvre divine :Le Déjeuner des Canotiers.
D'un simple bouquet de fleurs posé sur la fenêtre à l’heure de sa mort, il a fait un feu d’artifice coloré, il a rendu hommage à Râ et inspiré les "Tournesols" de Van Gogh, autre grand de la peinture, amoureux comme lui de la lumière et peignant directement dans la nature.
Mais ils ne se connaissaient malheureusement pas ! Renoir aurait peut-être pu aider Van Gogh. Lui aurait-il permis de se faire connaître de son vivant ? la folie et l'anis étoilé l'ayant tué prématurément.

Claudine 
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Ça s’est passé un dimanche, un dimanche au bord de l’eau. Ce jour-là, monsieur Renoir voulait dessiner notre groupe pour en faire un tableau.

Nous aimions bien, aux beaux jours, venir dans ce coin champêtre canoter sur la Seine et prendre un bon déjeuner à l’auberge.  Monsieur Renoir nous avait observés plusieurs fois, et sans doute que notre joyeuse tablée lui avait plu. Alors, à la fin du repas, il nous avait croqué chacun à notre tour tel que nous étions, mais jamais je n’aurais pensé qu’il puisse en faire une scène si vivante. Quand je vois le tableau, il me semble revivre cet après-midi où, debout, j’observais ce qui se passait sur la terrasse ombragée.

Nous avions bien mangé et bien bu aussi comme en témoignent les bouteilles encore sur la table. Il faisait chaud, et Jules et moi qui avions ramé toute la matinée pour le plaisir de ces dames, nous étions mis à l’aise en tombant la veste, pas fâchés de montrer nos muscles.

Ma petite Suzanne, si jolie avec son chapeau fleuri et sa robe bleue garnie de dentelles, s’amusait avec son petit chien, son joujou qui ne la quittait jamais, et le peintre a très bien saisi le mouvement de ses lèvres esquissant un baiser à l’intention de la petite bête.

Il y avait aussi Louisette, simple et charmante, appuyée à la balustrade, avec son air moqueur, écoutant sans doute les fadaises que lui débitait cet homme en brun. Quant à Marinette, cette blonde au teint de lait, si elle écoutait poliment ce que disait ce garçon penché au-dessus d’elle, on voyait bien que son homme c’était Jules, et elle le faisait savoir en posant son bras comme une barrière autour de lui.

Enfin, on peut voir sur le tableau Germaine, arrivée après le repas avec son mari, cet homme en chapeau haut-de forme qui lui tourne le dos. Qu’y avait-il eu entre eux ? Une énième scène de ménage ? Elle était très malheureuse et s’en ouvrait à ses amis qui tentaient de la consoler, mais elle ne voulait pas entendre leurs conseils et on la voit se bouchant les oreilles de ses mains gantées.

Quelle belle journée, et quel étrange sentiment j’éprouve à me voir ainsi portraituré, moi, homme du peuple, soumis aux regards des gens habitués des salons qui viendront voir cette œuvre admirable toute en couleurs et en luminosité.

Colette 
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Ce tableau de Renoir me fait penser à une chanson populaire interprétée par Maurice Chevalier, grand monsieur de la chanson française, interprète et comédien. C’est aussi les bords de Marne, « Chez Gégène » avec sa joyeuse clientèle des années 1900. Certains clients venaient chapotés, endimanchés. Chapeaux fleuris pour les femmes, casquette, haut-de-forme ou canotier pour les hommes, du costume trois pièces à la veste de velours ou le simple tricot de corps d’une blancheur éclatante.

Le petit vin blanc coulait à flot dans les verres, apportant du rose aux joues des filles et des élans soudains aux garçons.

Les barques étaient louées, les amoureux roucoulaient en ramant sous le regard bienveillant des saules pleureurs qui les cachaient de leurs branches feuillues, gardant le secret des promesses et des baisers échangés.

Que de couples se sont formés en dansant, en canotant, les beaux dimanches de printemps.

Ces amours furent le plus souvent éphémères mais quelques-uns ont résisté au temps qui passe. Tous se souviennent de ces jours heureux immortalisés par de grands peintres comme Renoir.

Mireille 
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Du beau temps, une table bien garnie, peut-être un air d’accordéon. Que faut-il de plus à un groupe d’amis pour passer un bon moment ?

De la grisette au joli chapeau fleuri, du malabar en maillot qui étale ses muscles avec complaisance à cet élégant en chapeau haut-de-forme, tous semblent heureux et détendus.

Jolis chapeaux à fleurs ou, à rubans, ou même à fleurs et à ruban pour ces dames, canotiers de paille et casquettes pour les messieurs, pas question à l’époque de sortir sans être « coiffé ».

Que pense la midinette accoudée à la rambarde ? Est-elle en conversation avec le quidam chapeauté qui lui fait face ? Lui fait-il la cour ? Et cette jolie rousse au béret crânement posé sur le côté, écoute-t-elle la musique ou les propos du jeune homme penché vers elle ?

Monsieur Renoir a su avec ses pinceaux et son génie faire d’un petit repas à la campagne un réel et immortel chef-d’œuvre.

Monique 
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En voyant le tableau de Renoir, je me suis demandée pourquoi ce tableau fut et reste si célèbre et d’abord que pouvait évoquer son titre. Bien sûr, les canots et les hommes qui rament sur la rivière ! Mais pourquoi appeler un chapeau, un canotier, chapeau rendu si célèbre par ce tableau? Et plus tard par Maurice Chevalier. Alors je suis partie au pays de la découverte. Voyons ? Quelle est l’origine de ce chapeau si emblématique ? J’ai voyagé à travers nos provinces et suis arrivée près de Montauban, au petit village de Caussade. C’est dans ce décor champêtre qu’au XIXe siècle, naquit le premier canotier, chapeau de paille, certes, mais si particulier. Car le «chapeau de paille», n’est-ce pas, se porte plutôt à la campagne, symbole du dur travail de la terre ! De tout temps et sous toutes les latitudes, sa forme conique aux larges bords, fait penser aux moissons et à la fenaison mais aussi, regardez sur les marchés, aux paysannes vendant les produits de la terre. Déjà Caussade fabriquait leurs chapeaux. Mais un jour, que se passe-t-il dans la tête de l’une d’elle ? Une idée formidable : changer la forme du chapeau de paille ! En fabriquer un très différent : le faire ovale à fond et à bords plats, et l’orner d’un ruban. Le canotier est né ! Oui, mais, au fin fond de cette province, comment le faire connaitre ?  Va-t-il rester longtemps inconnu ? 

Heureusement, la petite ville bénéficie depuis peu du chemin de fer ! Il le transporte jusqu’à la capitale ! Et là, il fait fureur. Les fervents du canotage mettent à la mode ce chapeau de paille tressée ; il protège si bien des ardeurs du soleil ! Cyclistes, sportifs l’apprécient. Populaire, c’est le chapeau d’été privilégié par les hommes, dans cette société de loisirs naissante. Vive le plaisir et la détente ! Les femmes  s’y mettent aussi. Elles l'adoptent et l’adaptent et l’embellissent avec des rubans et des fleurs. Pas d’après-midi de plaisir sans ce petit chapeau qui clame bien fort la nouvelle existence d’une partie du peuple  devenant plus aisé.

 Le dimanche, voilà le bourgeois qui troque son frac ou son costume contre un pantalon et une marinière  ou un marcel et se coiffe bien sûr de son canotier! Car il est difficile de ramer en habit et en haut de forme! Et rien n’est plus salutaire qu’une longue promenade matinale, seul en canot, sur la Seine ou la Marne avant d’aller déjeuner en bonne compagnie dans une de ces nombreuses guinguettes. Là, sous le soleil, il fait la fête, ripaille et se dévergonde ou bien retrouve sa famille, ses amis. Quelle ambiance sympathique et chaleureuse, loin de tout ce qui est guindé et conventionnel !  Cette toile de Renoir, aux couleurs chaudes et contrastées, est si vivante qu’elle me donne envie de m’asseoir à leur table, de deviser jusqu’à la tombée de la nuit, en écoutant des airs de musique populaire au son de l’accordéon.



Musique que j’ai écoutée autrefois, non pas dans les guinguettes mais lors d’un séjour d’été dans le nord de l’Espagne. Les distractions au village sont rares et très surveillées par les adultes. Aujourd’hui c’est dimanche. Après la messe, nous pouvons nous éloigner pour une longue promenade dans la montagne. Garçons et filles, de douze à dix-huit ans, en tenues colorées, marchent allègrement, chargés soit d’un sac à dos ou encore d’un accordéon. Car c’est là-haut que nous déjeunerons. Certains ont les victuailles : un peu de charcuterie, de grosses miches de pain et surtout les fameuses « tortillas », omelettes aux pommes de terre et aux oignons, bien nourrissantes car les temps sont durs et la nourriture peu variée. D’autres transportent les bouteilles d’eau qu’ils ont remplies de bonne heure car en cette saison, les sources sont taries et l’eau rationnée. Plus une goutte entre huit et vingt heures aux fontaines publiques et l’eau n’est pas encore arrivée au robinet! Mais la bonne humeur règne. Tous chantent joyeusement en grimpant la côte. Très vite, les bras se prennent et des chaines se forment ; les accordéonistes enfilent les bretelles de leur instrument et c’est en dansant la farandole que nous atteignons le sommet couvert d’une herbe déjà brûlée par le soleil. Depuis plus d’une heure déjà, nous nous égosillons et bougeons dans tous les sens.

Fatigués, nous nous installons par petits groupes pour manger. Les plus grands distribuent à chacun leur part de repas que tous dégustent avec plaisir. Il fait si bon se rassasier après l’effort ! Et comme ce pain rustique nous semble délicieux après cette montée mouvementée! C’est la détente et chacun profite de ces instants de repos sans contrainte, ni obligation.  Mais bientôt, c’est l’heure de redescendre car il ne faut pas s’attarder ! Les adultes qui nous attendent pourraient «penser mal»  et s’inquiéter !

Comme les canotiers du tableau de Renoir, nous avons eu nos moments de délassement et de divertissement dans une ambiance détendue, chaleureuse et au son de la musique ! Moments inoubliables !


Marie-Thérèse 
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Ce tableau de Renoir exprime avec flagrance une joie de vivre qui était nul doute répandue à ce que les contemporains appelaient alors la Belle Epoque. On sait que cette insouciance devait bientôt sombrer dans le cataclysme de la Grande Guerre, baptisée la « der des der » par les optimistes invétérés. Ceux-ci auront sous peu l’occasion de réitérer en promettant après la seconde guerre mondiale, des lendemains qui chantent.

Mais revenons au tableau de Renoir. Il s’en dégage une disparité vestimentaire de caractère sociologique, voire marxiste. Au premier plan figurent avec aménité des gens du peuple dont, de part et d’autre, les « canotiers » en tricots de corps, tandis que, confinés à l’arrière-plan et vus de dos, des messieurs en haut-de-forme ou chapeau-melon, accoutrement qui détonne en ce cadre rustique de loisirs de plein air.

En outre, des convives autour de la table émane une nette sensualité : les jeunes femmes sont fort attrayantes et les canotiers bien virils.

L’intitulé du tableau me fait revivre par la pensée un sport que j’ai pratiqué lorsque j’étais étudiant à Grenoble. Le club universitaire de cette académie disposait d’une station nautique sur l’Isère, équipée de yoles : ce sont des canots de course se distinguant des canoës, kayaks et autres barques à rames, en ce que le siège des rameurs est coulissant axialement, de sorte que l’effort physique de propulsion est exercé par leurs jambes, en sus des bras. Les as incontestés de cette discipline sportive arboraient alors le fanion des universités d’Oxford et de Cambridge.

Cette digression géographique faite, revenons à Grenoble et plus précisément à la yole sur l’Isère. A son départ du quai, c’est logiquement vers l’amont – c’est-à-dire à contre-courant – que gouverne le barreur, alors que l’équipage est frais et en pleine possession de son potentiel musculaire. A quelques centaines de mètres, il lui faudra passer sous un pont à grosses piles ayant pour effet d’étrangler le débit de la rivière et, par voie de conséquence, d’accélérer le courant. Il en résulte un spectacle quelque peu burlesque aux yeux des promeneurs accoudés à la rambarde du pont : le barreur aux commandes de la yole s’époumone à aboyer à l’adresse de l’équipage des cadences croissantes afin de dégager l’embarcation d’un grotesque surplace.

Mais, dans ma très brève carrière de canotier, jamais je n ‘ai jamais vécu une convivialité comparable à celle dépeinte par Renoir.

Emmanuel


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