lundi 13 novembre 2017

RITUELS ET PETITES MANIES

Pendant plusieurs décennies, Marinette a fait craquer ses doigts, même en public, en les étirant ou en les repliant; les rhumatismes inflammatoires survenant, elle a dû renoncer à cette pratique gestuelle et sonore ; pour les besoins de sa production écrite, elle a voulu vérifier si ses phalanges étaient toujours dociles : mal lui en prit, seuls deux doigts répondirent douloureusement à son appel.
Avant de mettre en œuvre une activité importante, comme l'écriture, la peinture, elle n'échappe pas au rituel de se couper les ongles à ras pour se donner plus de force, être plus à l'aise et donner moins de prise aux microbes : elle n'hésite pas à nettoyer au préalable la périphérie : le jardin, la cour puis l'intérieur : elle fait place nette.  
Marinette arrivait toujours la première sur son lieu de travail, après une heure trente de transport : ainsi découvrait-elle au quotidien un espace neuf.
Avant de quitter son logement, notre phénomène ne manque jamais de vérifier deux ou trois fois si le robinet de gaz est bien fermé, même si elle sait qu'elle n'a pas utilisé la gazinière. En quittant l'appartement elle ouvre et ferme la porte à deux ou trois reprises puis la pousse avec la main droite pour en vérifier la solidité. Cela ne l'a pas empêchée de se fermer dehors ; du moins le croyait-elle ; depuis elle a soin de tirer les persiennes mais de laisser les fenêtres ouvertes, côté jardin, pour escalader la véranda : il s'avéra que les clés étaient dans sa poche.
Quand elle s'assied, Marinette croise ses jambes, en impulsant un mouvement de balancier à la droite, puis, pour prendre contenance, elle se racle la gorge comme pour s'éclaircir la voix, toussote comme pour attirer l'attention, pour prendre la parole, tout en soufflant sur une mèche de cheveux, puis l'entortillant.
Elle boit le café et la soupe en les aspirant, avec un bruit de succion inimitable ; elle saute des repas par manque de temps mais n'omet pas de grignoter en toutes circonstances. Une fois la collation achevée, elle se nettoie les dents avec la langue, puis frotte ses lèvres l'une contre l'autre comme si elle fignolait la répartition de son rouge à lèvres.
Quand elle est en forme, elle se distrait en sifflant des airs, mais veillez à la tenir à distance : elle s'approche trop près de votre visage et ne manque pas de vous arroser de postillons ; du reste sa conversation est invariablement émaillée de : " et alors ...euh! bon voilà, cool en fait, ma petite dame, même si son interlocutrice dépasse un mètre soixante-dix !

Marie-Christine
..................................................................

C’est la fin du repas et le moment du dessert. Gaëlle pose sur la table une petite corbeille contenant quelques pommes et oranges.
« Que veux-tu ? » demande-t-elle à son mari.
-  Une orange. Peux-tu aussi me passer un autre couteau, celui-là ne va pas pour peler
-  Attends, je te l’apporte. Mais où est-il donc passé ?, je ne le vois pas.
-  Eh bien, donne-moi ton opinel qui est sur la table.
-  Non, pas celui-là ! lui répond-elle, je n’aime pas que l’on pèle les fruits avec ce couteau. Tu sais bien que l’acidité attaque la lame. Elle devient toute noire.  Mais où donc ai-je mis le petit couteau pointu ?  s’exclame-t-elle en bougeant assiettes et verre. Il n’est point là ! qu’en ai-je donc fait ? » Elle retourne à la cuisine et bien posé sur l’égouttoir, elle retrouve son précieux couteau.
-  «  Ah, le voilà, tiens, prends-le ! » dit-elle en lui tendant.
 Et c’est souvent ainsi ; Gaëlle a trois couteaux : son opinel, un autre petit pointu à manche noir en résine  pour peler et celui guère plus long à manche de bois mais à la lame légèrement plus large qui  lui sert à  couper en petits morceaux ou en fines lamelles, les oignons ou autres légumes. Il ne lui viendrait pas à l’idée de prendre ce dernier pour peler un fruit, non, chacun a son usage bien réglé et il ne faut guère y déroger.

Son mari quant à lui, ne peut pas aller se coucher sans avoir vérifié que la porte d’entrée est bien fermée. Il l’a déjà fait en rentrant mais sait-on jamais ?, il aurait pu oublier de mettre le verrou. Pour bien s’en assurer, il commence par ouvrir la porte puis méticuleusement, il la referme et remet le verrou. Il peut aller dormir tranquille mais non, c’est encore  tout un rituel avant d’atteindre la chambre à coucher. Après la porte, il retourne à la cuisine qu’il vient de quitter. Le gaz est-il bien éteint ? Oui, alors vérifions l’eau. Il passe sa main sous le robinet. Non, pas une goutte n’a perlé. Il repart satisfait mais soudain fait demi-tour, un dernier coup d’œil à la porte fenêtre de la salle à manger. Mais oui, bien sûr, elle est fermée. Il peut être certain que tout est bien clos dans la demeure. Quelques pas et le voilà près de la chambre. Va-t-il entrer ? Non, d’abord, il se retourne et constate qu’aucune lumière ne brille dans l’obscurité. Il appuie alors rapidement sur l’interrupteur. Et la lampe tamisée lui renvoie comme un signe,  le sentiment du devoir accompli.

Marie-Thérèse
............................................................. 
J’ai un rituel d’endormissement je mets couche sur le côté droit et je me love en position fœtale puis quand j’éprouve le besoin de bouger je me tourne sur le côté gauche et me remets dans la même position et quand je sens le sommeil venir je me mets sur le dos.
Ma marraine a la phobie du gaz et à chaque sortie de son appartement une fois la porte fermée elle se pose la question ai-je bien fermé le gaz et ré-ouvre la porte pour vérifier le gaz qui est bien fermé.
Mon papa porte une casquette quand il sort et avant de la mettre comme à chaque fois qu’il la remet il se passe la main tout le long du crâne alors qu’il n’a plus de cheveux.
Ma maman, elle, a une collection de bolducs et rubans qu’elle entasse ensemble et dont elle ne se sert jamais  mais ne les jette jamais.

Fabienne
.............................................................
Je suis très nerveuse à certains moments, et de nature plutôt anxieuse aussi.  Si je n'ai jamais rongé mes ongles dans ces cas-là, je m'attaque par contre aux petites peaux situées autour de l'ongle. A tel point que par le passé je finissais par m'abîmer les doigts.
Arrivée à la retraite, ma vie étant devenue plus calme, j'ai cessé, mes doigts étaient redevenus impeccables. Mais d'autres gros soucis et contrariétés sont arrivés et comme on dit « j'ai replongé ». Cette fois cela persiste, tous les doigts sont attaqués mais je m'acharne plus particulièrement sur mes pouces. C'est devenu une manie dès que je suis inactive, le soir devant la télévision par exemple, je mange mes pauvres doigts. Je ne réfléchis même plus pour faire ce geste, c'est machinal, quelquefois je me surprends moi-même, je me demande même s'il y a vraiment quelque chose, là où je mords.
Cela fait bientôt trois ans que ça dure, si quelqu'un sait comment je peux cesser, je suis preneuse car je commence à souffrir.

Ma fille me reproche une manie : celle d'essuyer mes éviers dès que  je n'utilise plus l'eau. En effet, dès que j'ai terminé un travail à l'évier, je coupe l'eau et je prends l'éponge, j'essuie partout. Je l'agace, elle dit que j'ai pris cette manie de son père qui faisait de même. Je ne le crois pas, simplement nous étions les mêmes, c'est tout, nous aimions que tout soit net.
Si on laisse  des gouttes d'eau dans un évier en inox, le calcaire de l'eau laisse de vilaines traces blanches quand l'eau sèche et je trouve que ça fait sale, négligé. Oserai-je vous dire que le lavabo subit le même sort... Là aussi l'eau en séchant laisse des traces qui se voient bien sur le brillant de l'émail. Est-ce une manie ? Pour moi non, je vous laisse juge.

J'ai découvert Internet au cours de ma vie processionnelle et si certaines collègues se sont montrées réfractaires, je me suis volontiers pliée à cette nouvelle méthode de travail, j'y ai même pris du plaisir. J'avoue qu'à présent je ne pourrais plus m'en passer.
Chaque jour après mon petit-déjeuner j'ai un rituel, j'écris un mail à ma fille. Je l'appelle mon « bonjour » car c'est ce que j'inscris sur la ligne « objet ». Elle me répond quand elle le peut et ainsi, même si on ne s'est pas vues, j'ai l'impression qu'on a parlé un peu ensemble, je me sens moins seule. Après cae mail et quelques vérifications d'ordre pratique à faire, je ferme l'ordinateur jusqu'au lendemain, je ne suis donc pas trop dépendante.
Mais si une panne survient, là c'est la panique, je suis perdue. Dans ces moments là il m'arrive de dire que je vais résilier Internet. Mais alors ma fille me dit que c'est une très mauvaise idée, que j'aurais tout faux car il n'est plus possible de passer outre. Internet me permet de faire tellement de choses, me renseigner surtout quand je m'interroge, acheter parfois, payer certains organismes, prendre mes rendez-vous médicaux... Et sans Internet, comment pourrais-je faire parvenir mes textes à Laurence ?

Paulette
...................................................
Sûrement que je deviendrai Alzheimer à revenir ainsi sur mes pas pour vérifier que j’ai bien fermé mes baies vitrées… Sûrement que je deviendrai gaga à me répéter maintes et maintes fois ‘assurant que je me suis bien faite comprendre au point d’en importuner mon entourage. Et cette manie de ses tordre les doigts ou encore les mains quand l’angoisse me prend… ce ne serait pas du masochisme ? Pire encore, essayer d’estomper pellicules de peau superflue ou excroissance formant ensuite une croûte inesthétique sur mon visage. C’est le comble de l’idiotie.
Chez moi, c’est souvent Halloween. Nul besoin d’attendre fin octobre pour manger des fraises Tagada et fleurir mes plates-bandes avec des chrysanthèmes. Je fête les morts toute l’année. Le balai est au rendez-vous de mes allées et venues pour nettoyer la terre renversée.
Un rite immuable répété chaque jour durant les plus tendres années de mon enfance : à 18h30 pétantes, c’était l’heure de faire la soupe. Question d’habitudes qui ne variaient que par le renouvellement du journal qui recueillait les épluchures. Celles-ci allaient nourrir les poules de Mme Pelisson, notre voisine. Dans le bac de l’évier, le vert et la boue des poireaux étaient ôtés, leur blanc tranché en rondelles. Les pommes de terre, les carottes épluchées et coupées en gros morceaux, s’il vous plait. La branche de céleri, l’oignon et les petites herbes jetés dans e bouillon chaud. Le tour était joué. C’est ma mère qui gérait la cuisson. C’est encore elle qui passait les légumes au moulin à légumes. La soupe était moulinée, servie avec ou sans croûtons, une perle de beure (à ce moment, il ne manquait pas dans les rayons) et du gruyère pour les plus gourmands. Un vrai délice qui coulait dans n os estomacs complices. Je me suis transformée en championne d’épluchage avec le temps. Et j’ai même failli passer mon diplôme. Puis, je me suis ravisée.

Les épluchages ont fini par me lasser !

Claudine

Aucun commentaire: