lundi 5 décembre 2011

LA CUISINE, C'EST DE LA LITTERATURE (1 - plats)

Une recette de cuisine n'est pas seulement une liste d'ingrédients. Elle peut devenir poésie, atmosphère, se changer en histoire : une métaphore, quelques adjectifs bien sentis, une poignée de pronoms, deux trois verbes pour donner du liant...

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Nouilles à l'indienne
Entrelacs de nouilles dans une passoire,
Qui font la génuflexion ou en position du lotus.
Ambiance bouddhiste, «Hum ! Hum ! C’est le must !»
Toutes groupées ensemble pour se tenir chaud.
De la vapeur s’élève toujours plus haut.
De bonnes pâtes, en pleine méditation
Il ne manque plus que la lévitation.
Elles attendent tranquillement,
Sur la paillasse : rondelles de champignons de Paris, ail, oignons blancs et croquants, pardi
Rejoignent poivrons et haricots verts,
Mais quelle affaire !
Quand on coupe des tomates,
Il y a toujours des pépins !
Sur la planche, tout ça, ça m’épate.
Les bâtonnets de carottes se font désirer,
Pour un peu, on la perdrait... la zen attitude.
Il parait que la carotène rend aimable,
Et donne les cuisses roses. ça reste à vérifier !
Il faudrait évidemment en manger des tonnes,
Pour rester affable
Et voir sa vue s’améliorer...
Ah ! Quand toutes les rondelles blanches, rouges et vertes
Rejoignent les bâtonnets orangés dans la grande poêle sans couvercle,
Chacune donne le meilleur d’elle-même, gracieuse et lascive.
Elles s’évertuent à rester dignes et présentables, si possible.
Au son un peu discordant de la spatule en bois raclant le fond du poêlon
Comme une cithare égrenant quelques notes à l’abri d’un temple,
Il faut maîtriser l’énergie virulente de la cuisinière responsable de la cuisson,
Repas végétarien, s’il vous plaît, qui réunit toutes les pratiques religieuses
Dans une ambiance franchement chaleureuse.
Et c’est fumant et fondant que ce mélange coloré sur les nouilles vient se coucher.
Alors, mesdames, à vous !
Chaud devant ! Dégustez !
Hum... on en croise de plaisir les doigts.
Pour un peu, c’est le Nirvana !
La déesse Krishna aimerait ça.

Claudine

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Les oeufs mimosa

Elles sont deux petites filles, Marion huit ans et Lola dix ans. Marion veut faire une surprise à sa mère, bien sûr quelque chose de simple. Un hors-d’œuvre : des œufs mimosa.
Dans le placard, elles trouvent un livre de cuisine que plus personne ne regarde. Il a été bien écorné par la grand-mère, il y a même quelques taches car il ne tenait pas bien sur le support sur lequel il était posé.
Marion et Lola ont plutôt l’habitude de la cuisine de maintenant : des cartons et des boîtes desquels on extrait des surgelés, quelques minutes aux micro-ondes et c’est prêt !

Marion cherche un plat facile à exécuter pour sa première tentative culinaire et la dame du livre, Ginette Mathiot, assure qu’il en est ainsi des œufs mimosa.
Voilà six œufs qu’il faut faire bouillir pendant dix minutes. Lorsqu’ils sont cuits, Lola explique à Marion de vite les passer à l’eau froide pour que la coquille parte mieux. Une fois les œufs coupés en deux, avec une cuillère et beaucoup de précaution, elle retire le jaune qu’elle râpe du côté le plus gros de la grille. Il faut ensuite le mélanger à de la mayonnaise. Elle l’a acheté en tube parce qu’elle a entendu dire que parfois elle ne prend pas bien, et si ça avait été le cas, quel travail ! Et elle n’a que huit ans.
C’est déjà suffisament compliqué. Marion n’avaient pas prévu, par exemple, que ces cheveux tomberaient sur ses yeux – le ruban s’est défait. Et en les relevant, quelques morceaux de coquille y restent accrochés. Elle a très chaud, elle est toute rouge. Vite, vite, il faut absolument terminer avant que maman arrive !
Délicatement, elle remplit le blanc avec le mélange, puis dans un plat, elle dispose des feuilles de salade. C’est joli avec quelques brins de persil, les œufs bien alignés. Elle se sent fière. C’est son premier plat.
«Je fais ta petite vaisselle, lui dit Lola. Va arranger tes cheveux. Je vais préparer l’appareil photo, ce sera un beau souvenir.»

Rose

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Voyage improbable autour de la Tortilla



Petites choses dont on se sert en cuisine, avez-vous une âme ?
Je verse de l’huile d’olive dans une poêle. Dans cette huile, reste-t-il quelque chose des oliviers d’origine, image de troncs tordus, vieillards méditerranéens ?
Bel oignon doré, j’enlève ta peau. Peut-être te fais-je mal, alors tu te venges et me fais pleurer.
L’oignon tranché, ses jolis petits croissants de lune frissonnent dans l’huile chaude. Une bonne odeur se répand et attise mon appétit.
Au tour des rondelles de pommes de terre de dorer doucement. Patates des champs, fruits de la terre, merci de nous nourrir en toute modestie.
Je casse deux œufs dans un bol, deux soleils jaunes, symbole de vie que je vais détruire à coups de fourchette pour mon bon plaisir.
Saler le tout. Sel de la terre issu peut-être des marais salants, damiers miroitants dans la lumière de mon imaginaire.
Maintenant que tout est cuit à point : « Ne pense plus et mange ! » C’est bon. Miam !

Josiane

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Pommes de terre farcies



Bénédicte doit recevoir trois de ses meilleurs amis pour déjeuner. Pas très bonne cuisinière Bénédicte, et pas très riche non plus. Que faire ? Sa maman, consultée, lui a suggéré des pommes de terre farcies, c’est exactement ce qu’il lui faut.
Donc, elle a acheté de belles pommes de terre, pas des patates ordinaires quand même, excusez du peu, des Mona Lisa. C’est chic, non ? Quand les copains vont savoir qu’ils mangent de Mona Lisa farcies, alors là, respect !
Pour commencer, il faut les doucher en les frottant doucement pour ne pas leur arracher la peau, puis après les avoir coupées en deux dans le sens de la longueur, les coucher sur un joli lit de gros sel avant de les enfourner pour les faire cuire. Jusque-là, c’est un jeu d’enfant, mais maintenant il va falloir préparer la farce.
Ebouillanter deux ou trois tomates, eh oui, c’est cruel, mais indispensable pour leur ôter leur peau, et les épépiner. Puis précipitez-les, une fois coupées en morceaux, dans une poêle pour les faire revenir dans un peu de beurre ou d’huile. Les faire ensuite attendre dans un saladier avec la chair à saucisses qui a elle aussi subi le même traitement. Bien mélangées, les deux vont si bien ensemble !
Un coup d’œil au four, les pommes de terre sont cuites ! Sortez-les et, discrètement, sans aller jusqu’à la peau, creusez ces demi-pommes de terre pour en extraire la chair. Pour quoi faire ? Mais une petite purée que vous rendrez bien onctueuse en ajoutant un peu de crème liquide, un peu de beurre et, pour faire joli, un peu de persil et de ciboulette finement hachés.
Voilà c’est le temps des finitions. Dans chaque demi-pomme de terre, étaler une couche de purée, une couche de farce, une couche de purée et surmontez le tout d’un peu de chapelure et de deux ou trois noisettes de beure.
C’est fini. Vous avez bien travaillé, il ne reste plus qu’à passer le chef-d’œuvre sous le grill pour lui donner une belle couleur et servir sur l’une de vos belles assiettes.
Enfin, vite effacer les traces de vaisselle salie, et vous pomponner avant l’arrivée des amis.

Colette

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Soupe au caillou



Il y bien longtemps, du temps où les colporteurs allaient de villages en villages pour proposer leurs services ou une aide.
Par  un froid soir d’hiver, un homme chargé d’une lourde besace s’arrêta devant la porte d’une vieille masure. De la cheminée s’élevait une épaisse fumée, il allait enfin pouvoir se réchauffer. Il tapa contre la porte avec son bâton : « S’il vous plaît, un peu de chaleur et un bol de soupe pour un voyageur fatigué. »
Une femme lui ouvrit, le fit assoir devant l’âtre où un chaudron accroché par une crémaillère était léché par les flammes d’un bon feu de bois.
« Mon brave, pour la chaleur, oui, mais pour la soupe, il n’y a que de l’eau dans ma marmite. » L’homme la soupçonna de ne pas être très généreuse : « Qu’à cela ne tienne, il n’y a qu’à y mettre un gros caillou. »
Ainsi fut fait et l’eau commença à chanter. Un moment se passa.
« Ca n’est pas un gros oignon que je vois par là, il donnerait un peu de goût à notre caillou. » Tout en se chauffant les mains, l’homme jetait un œil à droite et à gauche dans la modeste pièce. « Tiens, sur la maie, il y a quelques carottes un peu fatiguées, un bon bain leur ferait du bien ! Et ce poireau, au fond du panier. « 
La femme n’osa pas dire non, et peu à peu le caillou ne fut plus seul.
« Et ce bout de lard qui s’ennuie dans le garde-manger, et hop ! Au bouillon ! »
Maintenant, un alléchant fumet s’échappait du chaudron. Le temps passait, la soupe cuisait, le voyageur astucieux allait pouvoir se régaler ainsi que son hôtesse, qui ne s’en plaignit pas.
Cette bonne soupe serait-elle l’ancêtre de notre potée paysanne ?
C’était la recette de la soupe au caillou.

Monique

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Croquettes napolitaines



Si j’apportais une petite note méditerranéenne au menu de ce jour ?
Il me faut des pâtes assez résistantes : macaroni, par exemple. Ces pâtes, je dois les noyer dans un grand récipient rempli d’eau bouillante salée… Je surveille ; l’eau fait de grosses bulles et clapote à grand bruit. J’attends quelques secondes avant de jeter les pauvres pâtes dans ce bain à 100°. Moi qui pensais qu’elles souffriraient de cette immersion. Eh bien, non ! Dès que l’ébullition reprend, elles ont l’air heureuses : elles dansent, tourbillonnent, jouent à la ronde, organisent des farandoles. Elles ne doivent pas rester au fond de la marmite. Elles n’y restent guère ; elles montent, descendent, virevoltent. Après 15 mn de cette chorégraphie singulière, je les précipite dans une grande passoire. Là, elles pourront se raconter leurs expériences de plongée !
De mon côté, pendant ce quart d’heure, je ne suis pas restée inactive à regarder les évolutions des pâtes dans l’eau. J’ai haché en menus morceaux du jambon de parme qui s’est laissé faire docilement. A ce hachis de jambon, j’ai ajouté un œuf entier et deux jaunes de deux autres œufs.  Je laisse les blancs de côté dans un bol. Il me faut alors malaxer jambon, œufs, parmesan râpé et pâtes. Je sale, je poivre. C’est moi qui souffre, ce mélange me colle aux mains et je me brûle si j’enfonce un doigt trop profondément. Heureusement ces ingrédients font bon ménage. Maintenant je partage la pâte obtenue en boulettes de grosseur à peu près égale. Je me brûle encore les doigts ! Enfin, voici les boulettes alignées devant moi sur la planche à hacher. Pour moi, arrive un moment délicat : avec le batteur électrique, je dois monter en neige les deux blancs qui attendent sagement au fond du bol. Les blancs commencent à mousser, j’appuie plus fort sur le bouton du batteur. Une grosse boule blanche déborde du bol… Vite, vite, la mousse ne doit pas retomber. Je roule les boulettes dans la belle neige et les saupoudre de chapelure, avant de les précipiter à nouveau dans un bain bouillant, d’huile cette fois-ci… Je les laisse dorer un peu et avec l’écumoire, je les retire de cet enfer où elles crépitent. Je les dépose enfin délicatement sur un lit de salade bien verte, où elles forment une belle couronne dorée. Elles ont bien mérité ce repos, qui, hélas ! sera de courte durée. Bon appétit !

Christiane

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Dîner en amoureux

Jérôme a invité une collègue de travail, Maud. Une grande complicité s‘est établie entre eux : ils se téléphonent et déjeunent ensemble. Jérôme est amoureux de cette jolie femme à la longue chevelure flamboyante, au regard couleur pistache. Ce soir, c’est le grand jour. Elle vient dîner et il veut l’étonner. En entrée : salade de morue aux pommes de terre, puis sa spécialité de foie gras.
Il fait cuire des pommes de terre en robe des champs. Puis plonge dans une casserole d’eau froide la morue qu’il a laissée dessaler dans une grande quantité d’eau qu’il a changée trois fois. Lorsque l’eau bout deux tours de bouillon, il arrête le feu et l’égoutte. Pour la sauce : un peu de moutarde au fond du saladier, du sel et du poivre, une pincée de noix de muscade, un cuillère et demi de vinaigre et de citron, trois cuillères d’huile et deux gousses d’ail pilées.
Il pèle les pommes de terre et les coupe en fines rondelles et y incorpore la sauce. C’est au tour de la morue maintenant, blanche et nacrée, qu’il effeuille délicatement sur les pommes de terre comme s’il s’agissait de pétales de roses. Il en remplit deux raviers et les décore de persil haché et de ciboulette. Maud en sera ravie.
Ensuite, il fait étuver dans un peu de beurre les pousses d’épinard, salées, poivrées et relevées d’un peu de muscade. Dans un autre poêle, il fit étuver un concassé de tomates avec ail, persil, thym, sel et poivre.
Il réserve après cuisson ces deux légumes et fait revenir délicatement deux tranches de foie gras assaisonnées de baies. Sur deux assiettes chaudes, il dépose un nid d’épinard et de tomates sur lequel il place la tranche de foie gras et deux tranches de pain aux céréales grillé, accompagné de champagne brut.
Maud trouva ce repas imprévu délicieux. Ce soir-là, ils échangèrent leur premier baiser, ce fut le début d’une histoire d’amour au goût de morue, d’épinards et de foie gras.


Mireille

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