jeudi 14 février 2013

UN VETEMENT, UNE HISTOIRE

Les vêtements ne sont pas des objets anodins.
Dire qu'ils ont une âme serait peut-être exagéré mais qu'ils ont une histoire sûrement pas. Les textes suivants le prouvent.

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Chaussures chéries


Ce n’était pourtant que des chaussures ordinaires mais je les ai chéries comme une chose rare et précieuse. C’était deux ou trois ans après la guerre, alors que les magasins commençaient à offrir des marchandises nouvelles et de meilleure qualité.
Je ne me souviens pas où ma mère les avait achetées, mais je me souviens très bien comme elles m’ont parues jolies et confortables.
Elles étaient faites de vrai cuir couleur crème parsemé de petits trous car on allait vers les beaux jours. Cependant ce qui m’épatait le plus c’était la semelle de crêpe, de même couleur que les chaussures, à la fois épaisse et souple. Imaginez le plaisir de marcher silencieusement comme sur un tapis, après avoir porté pendant les années sombres ces affreuses chaussures en simili cuir si raides, de couleur brune ou noire, qui claquaient sur le sol d’autant plus qu’on les garnissait de fers pour éviter l’usure trop rapide !
En marchant, je regardais mes pieds avec ravissement, les montrais à mes copines de classe, parfois envieuses, les cirais et en lavais la semelle pour qu’elles restent jolies, et souvent je courais avec l’impression d’avoir des ailes aux pieds.
Colette
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De pied en cap (militaire)

Sur les talons de l’armée napoléonienne en retraite de Russie, entrèrent à Paris des troupes autrichiennes dont, plus particulièrement, une escouade de cavaliers croates qui alla se caserner au fort de Bicêtre. En leur uniforme, ils arboraient nouée autour du cou une chatoyante écharpe qui, lors des permissions en ville, suscitèrent la curiosité de quelques dames. Ne parlant pas le croate, l’une d’elle pointa un doigt interrogateur vers l’écharpe d’un militaire qui, se méprenant, déclina sa nationalité. Au lieu de croate, les tympans de la jeune française entendirent « cravate », mot qui se diffusant désignera l’accessoire que nous connaissons.

Des humoristes – émules de Courteline – assurant que naguère, dès son entrée en caserne, le conscrit s’entendait poser la question suivante :
-          De quoi sont les pieds du soldat ?
-          Ils sont l’objet des plus grands soins ! devait être la réponse, faute de quoi  giclait la sanction
-          De corvée de pommes de terre demain matin.
-           
Être doté par le magasinier de chaussures de bonne pointure en était un corollaire. Moyennant quoi, l’une des farces les plus idiotes infligée en chambrée était, après le couvre-feu, d’intervertir furtivement les chaussures sous le lit des « bleus ».
Sans quitter le domaine vestimentaire de l’armée, il est un phénomène inégalitaire sur le plan hiérarchique qui se manifeste au désert par fort vent de sable : dès qu’il touche une poignée de voiture, un soldat reçoit une décharge électrique mais pas un officier. Comment expliquer cette scandaleuse discrimination ? La réponse est simple : le soldat porte des chaussures cloutées tandis que l’officier a des semelles de feutre faisant isolateur.

Sous le soleil de plomb, le casque devient étuve, ce qui rend encore plus pénible la conduite en convoi de camions roulant à faible allure pendant des heures, avec pour seul panorama, à travers un nuage de poussière, le cul du camion de devant.

Emmanuel
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Une robe impossible à jeter


La légende raconte que les jouets s’animent la nuit quand tout repose. En serait-il de même des vêtements car il y a peu, étant  à demi-éveillée, j’ai cru percevoir un dialogue entre la penderie et la commode. Les uns se gaussaient des autres  car ils étaient régulièrement de sortie tandis que les autres dormaient au fond des tiroirs.
Un manteau plus curieux que les autres interrogeait une robe :
- «  Que fais-tu encore là, toi dont les couleurs sont passées, avec cette énorme déchirure ?  Et de plus, toute seule sur cette petite planche, comme si tu étais un trésor !  Tu n’es plus bonne à rien, pas même à recycler si ce n’est comme chiffon.»
-« Mais non, voyons, moi chiffon, impossible ! Mon tissu délicat ne résisterait à aucun frottement et je serai immédiatement réduite en charpie. Et puis celui qui m’utiliserait se blesserait car je suis de ces premières étoffes contenant du synthétique et mon fil est coupant. »
- «Pourquoi, ne t’a-t-elle point jetée ?»
- « Elle m’aime trop, elle n’a jamais pu se séparer de moi et depuis plusieurs années, je suis là à l’attendre ! Parfois, une à deux fois l’an, au changement de saison, elle vient et me fait prendre l’air. Elle me regarde, me retourne, me caresse et dit : «Cette robe, je ne peux rien en faire, je devrais m’en défaire mais elle me rappelle tellement de bons souvenirs !» Alors comme dans un rituel, elle pousse un gros soupir. Elle passe sa main sur toute ma longueur, essaie de me défriper quelques rides, soupire à nouveau, me tourne, me retourne puis après plusieurs minutes, se décide à me replier lentement amoureusement, bien dans les plis, avant de me reposer délicatement et c’est pour moi, comme une énorme caresse.»
- «Mais quelle occasion a provoqué ta venue  pour qu’elle tienne tant à toi ?»
- « C’était le début d’une bel été et elle allait à une grande fête de famille : les quatre-vingts ans de sa grand’mère. La réunion se tenait à la campagne. Il lui fallait une tenue légère mais habillée, de couleurs claires en accord avec les fleurs qui parsèment les parterres à cette saison.»
- «Claires ? Certes, mais sûrement plus vives qu’aujourd’hui !»
- «Non, je n’ai rien perdu de mon éclat. Regarde bien le blanc crème de mon fond sur lequel mes carreaux, tels de petites touches de couleurs,  se parent tantôt d’un jaune très clair semblable aux pétales des primevères et tantôt de ce  vert pâle qui couvrent les feuilles naissantes. De très longues mais très fines rayures blanches et ocres les traversent, leur donnent ainsi une forme rectangulaire et une impression de relief.»
- «Mais pour une robe d’été, pourquoi as-tu des manches longues et un col chemisier ?»
- «La température s’annonçait brûlante. Sa peau très blanche ne résiste pas à l’ardeur du soleil. A la moindre exposition, elle devient rouge écrevisse et des traces cuisantes apparaissent ! Je me devais de la protéger.»
- «Mais ton tissu synthétique n’était-il pas insupportable avec la chaleur ?»
- «Non, car je suis large, légère et je suis doublée d’une matière qui me rend très agréable à porter au point que, dès le début de l’été, elle venait me rechercher. D’abord, elle me prenait seulement pour les fêtes ou les cérémonies puis, le temps passant, je l’accompagnais en promenade et même quelquefois au marché quand le thermomètre se mettait à monter trop haut.»
- «Et pourquoi portes-tu une aussi grande déchirure ?»
- «Un jour, alors qu’elle était allée faire un tour en voiture avec les enfants, elle descendit un peu trop vite et claqua la portière sans voir que j’étais restée accrochée. Elle fit un pas et voulut rattraper son fils. On entendit un crac et je me fendis dans le dos de la moitié de ma longueur. À partir de ce jour, elle ne put me remettre. Elle m’aimait tellement qu’elle alla jusqu’à demander à une très bonne couturière s’il était possible de faire une de ces reprises invisibles pour me réparer. Mais c’était impossible ! la déchirure était trop grande ! C’est pour moi une grande blessure !»
Il me sembla entendre comme un sanglot étouffé. Mais non, je rêvais, ce ne pouvait être qu’un craquement de parquet !...mais ce qui est sûr c’est que dans le tiroir, la robe est toujours rangée !

Marie-Thérèse
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Le pantalon de mon grand-père


Un pantalon, quoi de plus banal. Mais celui-là ! J’en garde un merveilleux souvenir, il était en gros velours côtelé avec une petite poche sur le côté, maintenu à la taille par une très longue ceinture de flanelle beige. Et surtout, c’était le pantalon de mon grand-père. J’arrivais juste à la hauteur de la petite poche qui était je l’ai su plus tard, utile aux menuisiers pour garder leur mètre pliant en bois. Quand j’accompagnais mon grand-père, je m’y accrochais souvent.
 Ce grand-père était palefrenier. J’adorais aller le voir travailler à l’écurie. Il m’apprenait le nom de ses chevaux qu’on utilisait pour les livraisons. Ça sentait bon la paille et l’avoine.
En fait, ces chevaux appartenaient aux établissements Pikarome, distributeur de cornichons et de moutarde.
Dans la cour, flottait une bonne odeur de moutarde lorsque les ouvriers lavaient à grande eau les bacs qui avaient servi à sa fabrication.
Avec mon grand-père, j’allais aussi à la forge où l’on ferait les chevaux. Encore des odeurs, de métal chauffé à blanc, de corne brûlée, de sueur et aussi ce bruit de marteau sur l’enclume avec toutes ces étincelles.
Je le suivais encore, ce pantalon, quand à l’insu de ma mère pépé m’emmenait au bistrot pour boire une grenadine pendant que lui sirotait son « amer Picon ».
J’en ai connu des aventures ! Plus de chevaux sur le pavé de Gentilly, plus de grand-père ni toutes ces choses qu’aucun de nous ne connaîtra jamais plus. C’était il y a bien longtemps. Merci pépé jean.

Monique

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Mon manteau bleu

Et si mon manteau bleu du dimanche pouvait parler, il vous raconterait peut-être des d'histoires... Mais surtout n'allez pas le croire ! Il ne sortait que quatre à cinq fois dans le mois suivant les années ! Il vous dirait au combien ce bleu turquoise seyait à merveille au châtain de mes cheveux et au brun de mes yeux ! Le bleu étant la couleur préférée de ma mère, l'idée de refuser de le sortir de temps à autre de sa penderie Empire et de ne pas le porter ne m'a jamais effleuré. J'étais quelque peu gênée aux emmanchures et après avoir boutonné ses beaux boutons dorés, je ne pouvais plus faire aucun mouvement ! J'étais comme engoncée ! Il m'était difficile de glisser mes mains dans les poches ! Ces dernières fuyaient en jetant un regard en biais sur mes grands bras et mes mains aux phalanges démesurées de jeune adolescente en pleine croissance. Impression de ressembler à un clown bien habillé !
Si vous l'interrogez, il se vanterait peut-être et vous décrirait les ancres marines en relief sur ses boutons bombés brillant au soleil des frais hivers briards ! Il vous assurerait de ses facultés pour vous garder au chaud, par tous les temps ! Il vous ferait toucher ce beau tissu bien épais, cette laine de première qualité : du Woolmark à ne pas en douter ! - "Une marque anglaise", ne cessait de répéter ma mère. Il n'y aurait qu'au royaume Unis que l'on fabriquerait ce genre de manteau cintré à chevrons, avec une martingale à boutons, d'où partent deux plis dans le dos !
-"Regarde cette doublure, ma fille ! De la soie ! D'une douceur..." Reprenait-elle pour essayer de m'amadouer ! En attendant, toute la garde-robe devait suivre la gigue ! Le kilt écossais était souvent de mise, en dessous des genoux avec sa jolie épingle à nourrice sur le devant ! Il fallait veiller à la mettre correctement, sinon gare au non-respect de la pudeur, si le kilt s'entrouvrait aux yeux indiscrets... ! Sa fibre laineuse me chatouillait les mollets et se relevait fréquemment au contact du manteau en formant un demi-cercle autour de mes jambes ! Gare à l'électricité statique ! Ouille ! Le collant de laine veillait au grain ! J'étais sur mon trente et un ! Respect du protocole et des bonnes manières oblige...Ce manteau ne m'empêchait pas pour autant de remplir mes tâches dominicales. Pratique ou pas, le dimanche, immanquablement à 11h 25 à l'horloge de la petite église, le manteau bleu apparaissait sur la bicyclette rouge et le blanc du bonnet et des collants nous rappelait le drapeau français. Pour aller chercher la baguette !

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Pantalon-révolution

Le pantalon à l'époque n'existait que sur de rares hanches de femmes intellectuelles dites "libres et indépendantes" s'essayant à la modernité. Les femmes d'intérieur ne s'y risquaient pas encore, surtout pas sans l'accord de leurs maris ! J'avais à peine dix ans, c'était après les années soixante ! Le pantalon a envahi notre vie courante, à l'époque de Brigitte Bardot, pendant les années yéyé avec Sheila et Sylvie Vartan ! Nous les petites filles, nous n'avions pas notre mot à dire ! C'était le temps où les parents entendaient imposer leur façon de voir et il était impossible d'y déroger ! Nous n'avions pas encore la liberté de nous "accoutrer" comme les grandes : nos aînées ! Époque oblige !

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 Les chaussons de danse

Je m'en vais vous conter, l'histoire d'une jeune fille en pleine croissance prenant des cours de danse depuis l'enfance.
Elle se voit confrontée soudainement à des critères d'esthétique dus à la taille de ses pieds jugée excessive pour une danseuse.
Elle subit ainsi à travers des remarques acerbes et des regards suffisamment expressifs pour exprimer toute la désapprobation, le mécontentement et la frustration de sa professeur de danse. Celle-ci en effet se voit dans l'impossibilité de pouvoir accéder au désir de sa jeune élève voulant continuer de danser avec des chaussons à sa taille, mais elle ne dispose pas dans son stock de pointes à la taille des pieds de la jeune fille. Chacune ressent une certaine frustration !
Pauvres pointes prévues pour les petits pieds ne siéent pas à des "péniches démesurées" !
Pauvre jeune fille qui cherche en vain à les cacher aux yeux et aux sourires moqueurs.
Pourtant, quoiqu'elle fasse, elle ne contrôle pas la croissance démentielle de ses extrémités !
Elle se contenterait seulement de les voir se réjouir dans des demi-pointes adaptées à ses pieds !
Son "quarante fait la tête" dans ce beau chausson en satin rose, à semelle de cuir
Qui dans son museau conique, renforcé aux extrémités en bois afin de rester sur les pointes,
Enserre son pied dans un étau, jusqu'à la fin de l'exercice et du cours donné sans sourciller.
Dont elle se libère que bien des heures plus tard, totalement exténuée et désappointée !
Tout le corps et surtout les pieds doivent maintenir l'équilibre, pas question de fatigue...
Il en faut de la volonté pour oublier la douleur et les muscles qui dansent la gigue.
Mais son orteil, récalcitrant et mal aimable, se refuse à vouloir prendre la pose !
Ce monsieur s'offusque et s'oppose !
Pendant ce temps le coup de pied, calque sa conduite sur ce dernier : il se modèle et compose...
Il se cabre, fait le dos rond en obligeant ainsi les autres orteils à faire comme lui !
Voici que les doigts de pied intimidés se recroquevillent et se contractent : Quel gâchis !
M. Le pied est en souffrance, il ne montre que trop bien son désappointement !
Tous les orteils, le coup de pied et maintenant le talon sont mécontents !
Oui : - "Incompris et déconsidérés !"
-"Il n'y a pas idée d'être traité ainsi !"
Ils ne cessent de se lamenter sur leur sort, mais en catimini...
Sans toutefois faire de procès à M. le chausson,
Qui, face au confort des "charentaises" n'en a que le nom...
Mais décidément, ils n'ont rien compris !
Comment peuvent-ils imaginez un instant,
Que le professeur de danse devant ce dilemme reste démunie !
Boycotter ces objets de torture serait à vrai dire la meilleure chose à envisager...
Mais messieurs les pieds sont si benêts...
Puis de mal en pis, ne supportant plus leur supplice, il leur vint une idée :
Lors d'un saut, un simple entrechat, M. le chausson...
Virevolta. Il pointa son nez droit devant et dans une belle embardée remarquée,
Fut projeté dans la glace face à lui...
Tout penaud et complètement étourdi
Par la violence du choc, pardi...
Il en resta tout estourbi !
Déchiré, blessé moralement, il ne s'en est pas vraiment remis,
Choquant la glace et la classe abasourdie !
Attirant tous les regards, rosissant de confusion :
Du rose tendre, il en devient saumon !
Il ramasse à terre et s'empare prestement d'un ruban de satin, se ravisant,
Il en décore et entoure la cheville, enrubannée si prestement,
Celle-ci frémit et se cabre, mais enfin domptée, s'abandonne à la volonté de ce dernier...
Afin de ne pas prendre de mauvais coup, il caresse doucement le dessus du pied !
Parlera-t-on actuellement de révolution au pays du chausson ?
Toujours est-il qu'il fallait trouver une solution !
Certains diront que M. Le chausson ne tourne pas rond...
Qu'il n'en fait qu'à sa tête et que l'on pourrait le remplacer
Par une demi-pointe très proche voisine,
Dont le confort aménagé et au combien amélioré...
Règle ainsi tous les problèmes grâce à la souplesse du cuir employé,
Bordé d'un légère cordelette souple, la ballerine n'occasionne plus de déprime !
Joliment maintenue sur le dessus du pied par un élastique, la ballerine,
Est restée entre les deux malléoles, sur le talon d’Achille sans le compresser...
Plus de plis ! Plus de pieds maltraités, recroquevillés !
Plus de chaussons ne tenant pas aux pieds !

Claudine

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