dimanche 24 novembre 2013

D'APRES UN TABLEAU DE EDWARD HOPPER

Matin au Cap Cod - Edward Hopper, 1950

Une brise légère incline les herbes jaunies et les arbres commencent aussi à se décolorer. Un ciel plutôt pâle et quelque peu nuageux éclaire de ses faibles rayons ce paysage d’une banalité désolante, sans empreinte personnelle de ses propriétaires.
Dans ce décor insignifiant, le seul temps fort est cette dame, derrière sa fenêtre. Elle semble très intéressée par ce qu’elle voit au loin et c’est le moment où Edward Hopper nous laisse improviser…
Pour ma part, dans ce paysage qui me paraît si banal et démoralisant, en ce début d’automne, j’aime à imaginer une joyeuse scène de petits lapins qui jouent et sautillent en se poursuivant dans la fraîcheur du matin. Et vous ?

Gabrielle
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Cette femme a cru entendre le bruit d’une voiture dans le lointain. Elle se hisse à genoux sur le fauteuil de velours bleu mais, rien aux alentours. Seuls les arbres qui dansent en agitant comme des marionnettes leurs longs bras touffus, animés par le vent du mois d’août. Les hautes herbes à perte de vue se penchent à droite, à gauche, en avant, en arrière, ondulant gracieusement en un rythme saccadé. Ce doit être ça « L’herbe folle ».
Elle écoute une chanson de la chanteuse Barbara. Le texte correspond à ses états d’âme, elle reprend les paroles. « Quand reviendras-tu ? Ce n’est pas aujourd’hui, voilà combien de jours, voilà combien de nuits ? Tu m’as dit cette fois c’est le dernier voyage, pour nos cœurs déchirés c’est le dernier naufrage ».
Mais les mots, les années passent, reviendra-t-il un jour ? Le froid l’envahit tout à coup, comme elle aimerait qu’il soit près d’elle l’entourant de ses bras, se réchauffant à sa chaleur retrouvée.
Du bout de sa désespérance, une petite voix lui susurre à l’oreille : un beau matin de septembre, il retrouvera le chemin de son cœur. Quel instant magique ce sera ! Le regarder sans rien dire et revivre cette passion qu’elle croyait à jamais perdue.
Mais à quoi bon se retrouver pour mieux se perdre ensuite, revivre le calvaire de l’attente qui n’en finit pas, en chantant : « Quand reviendras-tu ? »

Ce texte a été écrit le jour de l’anniversaire de la mort de Barbara, en hommage à cette grande dame de la chanson.

Mireille
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Tel un guetteur en haut d’un phare, cette femme blonde est toute tendue vers l’horizon qu’elle scrute en vain. Qu’attend-elle ? Un père, une mère, un enfant, un mari ? Non, elle attend celui qu’elle aime, parti depuis longtemps et dont elle n’a jamais eu de nouvelles. Ignorant totalement où il peut se trouver, son esprit vagabonde et elle est insensible à la nature qui vit et renaît autour d’elle.
Dans l’instant où la terre des frimas de l’hiver se libère pour enfanter le blé à l’automne semé ; dans l’instant où la fleur jaillit dans la douceur sous la tendre rosée, dans l’aube renouvelée, tu ne vois rien et tu te dis : Quel temps fait-il à Varsovie, quel temps fait-il à Varsovie, si tu y es ?
Dans l’instant où renaît dans les bois, les prés, et la faune et la flore pour habiter l’aurore ; dans l’instant où l’enfant s’égaye dans le vent, son rire qui s’envole, courant dans l’herbe folle, tu interroges l’horizon : Quel temps fait-il à Santiago, quel temps fait-il à Santiago, si tu y es ?
Dans l’instant où l’oiseau nous joue de son pipeau les premières mesures d’un mai qu’il inaugure ; dans l’instant où le chêne sent monter dans ses veines la sève qui s’active comme torrent d’eau vive, ton regard essaye de percer l’infini : Quel temps fait-il à Istanbul, quel temps fait-il à Istanbul, si tu y es ?
Si des hommes grelottent, enchaînés dans la nuit, et si dessous la botte, la vie a défailli, dans les forges clandestines, l’espoir est revenu et les cœurs tambourinent. Un printemps se prépare, peut-être. Et demain, à l’horizon, je t’apercevrai enfin.

Christiane
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D'un regard fixe, tu scrutes l'horizon de tes yeux-caméra.
Sur un bureau, dans une loggia,
Tes mains reposent à plat.
Tu restes en attente, immobile et entièrement tournée,
Vers ce là-bas que l'on ne discerne pas, sous l'auvent,
Entre blés dorés balayés par les vents.
D’immenses sapins se balancent et leurs ombres chinoises gigantesques
Avancent et tapissent  le sol de leurs projections pittoresques,
Impressionnantes et fantastiques, facteur d'angoisse et de mystère.
Jouent avec les êtres comme des figurants flatteurs, jouent avec tes nerfs...
Pauvre de toi, jeune femme au superbe décolleté d'un rose-thé,
A moitié-absente, absorbée, si concentrée,
Tes yeux bleus-verts, se transforment en revolvers.
Tu l'attends de pied ferme, dans ta cage de verre,
Cet homme, ton mari,
Qui ce matin t'a fuie !
Et ton honneur a bafoué…
Une ultime colère, une revendication,
Un besoin d'évasion !
Maintenant, tu éprouves de la rancœur...
Tu pensais le connaître par cœur !
Tu aimerais qu'il te revienne,
O quand les ressentiments te tiennent...
Mais il tarde et tu angoisses
Tu es prostrée, tu as froid, tu es de glace.
Ton chignon blond aux cheveux serrés sur ta nuque,
Tire ton visage, d'un blanc impassible, dans un carcan de rigidité.
Tu apparais sévère et livide, dans cette histoire tu penses être la tête de turc...
Tu attends, tu attends, mais tu ne vois rien venir, tu veux garder l'espoir
Que dans un instant, dans quelque temps, demain peut-être, qui peut savoir ?
A Pâques ou à la Trinité, ton bel amour, ton cher et tendre, ta moitié, ton doux ami,
Reviendra se lover dans tes bras un peu maladroits, un peu froids, mais peut-être soumis !?
L'amour s'écrit souvent sur des pages blanches, que le vent maudit terni.
O, alors, il faut se réjouir de voir ainsi réuni les amants désunis.

Claudine
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Cette œuvre de Hopper
Pourrait bien s’intituler :
Ève en quête d’Adam.

Le cadre idyllique
Accroît la sensualité
Qui émane du nu.

La jeune femme penchée,
À l’abri dans un oriel,
Semble être aux aguets.

Viendra-t-il ou pas ?
Si oui, chaude sera l’étreinte,
Si non, quelle tristesse !

Emmanuel
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Une exposition  à Paris : Edward Hopper ! Je m’y précipite avec mon amie Claire. Nous déambulons à travers les salles admirant ses toiles très réalistes quand soudain, je reste figée devant le tableau intitulé «Matin au Cap Cod ». Il me renvoie immédiatement une image gravée dans ma mémoire et un film se déroule dans ma tête.
Je viens de France par bateau. A New-York, une  inconnue chargée de me piloter, vient depuis trois jours, dans l’aéroport, assister à l’arrivée des paquebots. Le mauvais temps de ce mois de février l’a fortement retardé. Enfin, je débarque.  Signe de ralliement : « Le Canard Enchainé ». Le bras tendu, elle regarde défiler les passagers qui se bousculent. Je l’aperçois dans la foule et agite mon foulard rouge. Soulagée, elle me conduit rapidement à l’aérogare où je vais prendre un de ces confortables bus de la compagnie Greyhound qui relie New-York à San Francisco en trois jours et quatre nuits. Pour moi, ce sera plus court. L’Indiana m’attend, Valparaiso, très exactement, chez Chantal, une amie de collège.
Sachant ma très bonne connaissance de l’anglais, l’inconnue me confie au chauffeur. En effet, je vais quand même voyager toute une nuit et une journée entière avant d’arriver à destination. Il ne s’agit pas de se perdre aux arrêts ou d’être oubliée dans un de ces petits cafés où chacun se restaure un peu. Le temps de pause est limité ! Le chauffeur me montre toujours ce délai, directement sur le cadran de ma montre que je porte au poignet.
Enfin, Voilà Valparaiso. Le chauffeur me fait signe de descendre et emporte ma valise qu’il pose à l’intérieur de la salle. Il s’adresse à un homme assis à un bureau mais je ne comprends rien à ce qu’ils se disent sauf « young french » et oui ! je suis bien une jeune française, perdue dans ce pays inconnu mais par bonheur, ils veillent sur moi ! Une fois seul, il téléphone et je suis là, debout, à côté de mon bagage, abasourdie et un peu harassée après ce long voyage. A peine quelques minutes s’écoulent-elles que déjà j’entends le bruit d’une voiture qui s’arrête. Entre alors d’un pas alerte, un bel américain, grand, jeune, aux cheveux coupés en brosse, vêtu d’un long manteau bleu marine. Il me fait penser à un officier de marine. Il m’aperçoit  et de ses yeux, vifs, francs, d’un bleu profond, me lance un« Hello ! » avec un regard rieur tout en empoignant ma valise. Je ne le connais pas pourtant il ne me reste plus qu’à le suivre dans la voiture. J’attendais mon amie. C’est sans doute son mari ! L’homme au bureau s’est remis au travail et n’a même pas levé la tête. 
Quelques miles et je découvre, à la sortie de la ville, blotti dans une forêt de chênes et de bouleaux, un  petit pavillon semblable à celui peint par Hopper. Sa façade de planches blanches percée de deux grandes fenêtres, respire la propreté. Ses lignes droites et rectilignes donnent  l’impression de vie réglée comme celle des marins en mer. Au centre, en avancée, se dresse, telle la proue d’un navire, cette entrée si typique,  de bois peinte du vert de la forêt qui l’entoure. Sa verticalité tranchante,  dégage un sentiment de solidité un peu rustique. Ses larges panneaux vitrés permettent de voir au loin, sur le chemin. Comme la femme de la toile, Chantal s’est-elle penchée pour voir si  message lui serait apportée, elle qui m’attend depuis trois jours déjà ! Elle a prévenu le chef de l’aérogare de mon anglais déficient. Il est tard déjà. La nuit tombe et dans la demi-obscurité qui nous entoure, je la vois, comme auréolée par la lumière de la lampe, guettant la voiture qui crisse sur les graviers en freinant. Elle se précipite, sourit à son mari tout en me serrant dans ses bras. « Viens, entre ! J’ai eu si peur. Je me demandais si tu avais quitté la France. Je ne savais pas le nom de ton paquebot ! J’ai failli téléphoner à tes parents ! Heureusement, tu es  là ».
Oui, là mais à l’exposition d’Edward Hopper, mon amie Claire me tire par la manche. « Viens, continuons la visite ! »

Marie-Thérèse


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