samedi 5 novembre 2016

UN OBJET DONT ON NE PEUT SE SEPARER

Trier, jeter, est-ce possible ?
Dans mon bureau trônent en bonne place mes « bonnes » résolutions, que j’ai beaucoup de mal à appliquer : 1, je donne ou je jette ; 2, je garde ; 3, j’hésite, j’attends six mois, je jette ce qui ne me sert pas.
Or, trier et jeter deviennent indispensables face à l’accumulation d’objets de toutes sortes au cours de la vie. La vie elle-même, en constante transformation, exige que les objets sur lesquels elle s’appuie évoluent, c’est-à-dire se relaient ou bien se transforment. Un jour une amie me confia sa solution : « Pas d’entrée d’objet nouveau sans sortie d’objet ancien ou devenu inutile ». Facile à dire… car la société actuelle nous pousse soit à consommer, soit à ne plus éliminer mais à conserver en rénovant (crise oblige)… ce qui complique encore le tri !
Nous avons aussi avec les objets de notre entourage toutes sortes de relations y compris sentimentales, esthétiques, etc. je pense au premier vase que j’ai tourné, céramiqué et mis au four. Je l’aime vraiment. Il a franchi victorieusement toutes les séances de tri et continue d’attraper mon regard quand il se porte sur un des rayons de ma bibliothèque… Ah, les livres… que c’est dur quand je dois m’en séparer ! Ce sont mes compagnons de solitude, mais surtout ma fenêtre ouverte sur tout ce qui m’intéresse : les autres, le vaste monde… J’adore pouvoir prélever sur un rayon un livre qui me rappelle les bons moments passés avec lui : je n’hésite pas alors à perdre une heure avec lui à le parcourir. Ce n’est pas sérieux ! Tous mes livres n’ont pas la même santé : beaucoup sont brochés, âgés d’une cinquantaine d’années et souvent poussiéreux car je ne les ai pas toujours bien entretenus, aussi quand j’en distingue un, j’en profite pour le toiletter… ce qui ne règle pas mon problème de tri.
Un autre obstacle : avançant en âge, j’hérite d’objets, livres, etc. ayant appartenu à des proches. Qu’en faire ? C’est si personnel, les choix, pourtant, je ne peux rejeter ce qui m’attache à ces disparus.
Mon appartement s’emplit malgré mes opérations de tri. Indéfiniment ? Aussi je rêve d’arriver un jour à évoluer dans un espace aéré, épuré, moderne. Quand ? Est-ce possible de se déshabiller ? Pour moi, c’est bien difficile.

Françoise
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J'ai une tendance à conserver les choses mais je pense aujourd'hui plus particulièrement à un vêtement, une liseuse que ma mère avait tricotée au crochet. Je préfère ne même pas calculer l'âge de ce vêtement...
Cet ouvrage en laine est d'une couleur rose, je dirai d'un « rose layette » pour le décrire plus précisément, de ce rose bien prononcé et que je n'aime pas d'ailleurs. Je ne sais si le mot « layette » est approprié pour décrire cette couleur mais je l'aime si peu que même ma fille bébé n'a jamais porté cette couleur, juste certains roses très pâles, le plus souvent elle portait du bleu. Et plus tard j'ai su qu'elle détestait le rose. Pourquoi cette couleur pour ce vêtement... Il se pourrait que ma mère ait utilisé un restant de  laine ayant justement servi à tricoter de la layette, peut-être celle de ma nièce qui est née lorsque j'avais 11 ans, ma mère conservait tout elle aussi.
Ce vêtement me servait jadis chez mes parents, quand j'étais malade et donc alitée. Car c'est ainsi que ma mère nous soignait dès que l'on était enrhumé et un peu fiévreux, on devait garder le lit. Avec également l'obligation de boire les tisanes brûlantes qu'elle nous apportait car il fallait transpirer pour faire sortir le mal comme elle se plaisait à nous le dire. Aujourd'hui je sais qu'au contraire il faut se dévêtir pour faire tomber la fièvre ! Qu'importe, ma mère a réussi à nous soigner à sa manière, on ne s'en est pas plus mal porté. Malade, je devais donc enfiler ce vêtement quand je voulais lire, je devais rester bien couverte et avoir chaud dans mon lit.  Je ne sais quel point a utilisé ma mère pour la tricoter  mais l'ouvrage semblait fait de trous accrochés les uns aux autres. Des trous avec lesquels plus jeune je jouais, j'y enfilais mes doigts, je les tortillais dedans tout en lisant. Elle était si légère, et si chaude à la fois cette liseuse, tellement que je n'ai jamais compris pourquoi. Comment en effet des trous peuvent-ils tenir chaud, cela reste un grand mystère pour moi.
Cette liseuse est l'un des innombrables ouvrages que ma mère a tricotés, elle avait une véritable passion pour le tricot, à l'aiguille ou au crochet. Elle y passait tout son temps libre, du matin jusqu'au soir, le moindre instant était prétexte à prendre son ouvrage et mon père se plaisait à la taquiner.
J'ai toujours ce vêtement, il dort aujourd'hui, plié dans mon armoire. Je ne le porte plus jamais, nous disposons d'autres vêtements chauds à présent. Pourquoi l'ai-je conservé, je l'ignore, c'est la seule chose qui me reste de ma mère, il m'a suivie partout. Et maintenant il ne me viendrait plus à l'idée de m'en séparer, ma liseuse  prend si peu de place.

Paulette
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Dès l’âge de trois ans, approximativement, avec le doigt ou un bâtonnet, je dessinais, j’écrivais, à ma façon, sur la terre, la neige, la glace, les vitres embuées.
Si j’avais connu le poème de Paul Éluard Liberté, je l’aurais inscrit en tous lieux !
Ma mère, assise devant le feu, retirait des brandons calcinés : elle dessinait à mon intention, avec le charbon de bois, sur de vieux morceau de journal ou de carton, des chiffres, quelques lettres, une poule…
J’essayais de les reproduire, sans comprendre le prodige qui faisait jaillir tout cela d’un charbon tenu entre les doigts. Je faisais remarquer que la poule ne ressemblait guère à celles du poulailler mais la magie opérait cependant.
Vint, à six ans, l’âge de l’entrée au CP. Le voisin auquel j’apportais des crêpes de temps à autre, m’offrit pour ce grand événement mon premier crayon : il était bleu, à la mine grise. Je le portais avec fierté, le brandissant tout le long du chemin comme un trophée. Il fut mon unique bagage et mon bâton de maréchal. L’école fournissait le matériel ; j’écrivis d’abord au crayon, dans le cahier à deux lignes, coupé en deux carnets, soigné comme un parchemin enluminé.
Par la suite, j’utilisai, pour écrire à l’encre, des plumes : la « gauloise » et la « sergent-major », fixées à un porte-plume. Je trempai la plume dans l’encrier : ce petit réservoir, placé sur le pupitre, était rempli avec grand soin.
Ainsi s’écoulait le temps : encre noire sur page blanche, craie blanche sur tableau noir.
J’ai conservé et le crayon et la plume.
Malgré la fermeture de l’école, le placement, les déménagements, l’utilisation de la plume, du crayon puis du stylo s’est poursuivie au quotidien, tout au long des études secondaires, supérieures, de ma vie professionnelle et encore à ce jour.
L’usage de la plume précède de loin celui de l’ordinateur sur lequel je renseignais le cahier de textes électronique en quadrichromie : noir pour la grammaire, bleu pour la conjugaison et l’orthographe, vert pour la lecture analytique et intégrale, rouge pour l’expression écrite.
J’ai pris l’habitude surprenante de commencer plusieurs stylos et non d’en user un à la fois : un peu comme si je voulais les faire durer en leur montrant que je les appréciais tous. Ils sont ma garde rapprochée, mes amis fidèles, je ne saurais leur manquer.
À ce jour, crayon et plume spécifique me servent à dessiner des roses que je peins à l’encre de Chine indélébile ; juste retour aux sources. Je m’émerveille, jeux mes merveilles.
Je n’utilise plus le matériel d’origine bien sûr, détérioré ou disparu mais j’ai toujours le respect et l’admiration inconditionnels pour l’outil de travail qui prolonge la main avec autant d’efficacité.
Merci à Maman, qui m’a initiée à l’écriture et au dessin, en me faisant découvrir l’un des usages fondamentaux de la main, alors que son quotidien était un enfer.
C’est vers elle que vont mes pensées émues, en ce jour des morts 2016.

Marie-Christine
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Inutiles, parfois peu décoratifs, ces objets ne nous parlent que par leur valeur sentimentale. Tout autre les auraient déjà jeté au rebut.
Celle-ci par exemple, une chouette en terre crue de 20 cm de hauteur modelée par de jeunes mains à l’atelier du mercredi après-midi. Elles ont peint en noir charbon puis vernissé ses ailes repliées sur son corps et ses aigrettes dressées sur la tête comme de petites oreilles de chat.  Pourtant ce qui attire l’œil, ce sont ses énormes yeux qui vous regardent et peut-être vous surveillent. Leurs pupilles d’un jaune citron largement cerclées sur les côtés d’une demi-lune bleu indigo. Son bec d’un rouge vermillon repose sur sa poitrine d’un vert sombre. Avec le temps, ses couleurs se sont un peu éteintes mais posée sur un coin de l’étagère, elle reste là parmi d’autres babioles, témoin d’une époque révolue.
Et celui-là, est-ce un objet ? Il ne trône pas dans la salle à manger ni même dans la chambre à coucher mais bizarrement il a trouvé sa place dans la salle de bains, non pas dans la douche mais accroché sur sa paroi de verre à l’extérieur. Pourquoi ? Peut-être à cause de sa taille, celle de mon fils en dernière année de maternelle. C’est en effet le portrait qu’il avait réalisé de lui-même. Taillé grossièrement dans du carton d’emballage, il a découpé son corps entier, tête et membres compris. Sur la surface, à l’aide d’un gros feutre ou un gros pinceau bien rigide, il a redessiné les contours d’une belle couleur rouge  sur une largeur d’environ 1 cm ½. Il a dû bien s’appliquer car le trait est continu sans trop de bavures. Puis il a donné vie à sa petite personne deux grosses taches noires pour les yeux, surmontés de sourcils épais en collant quelques brins de laine brune, la même qui flotte au sommet de son crâne simulant les cheveux.  Il n’a pas oublié le nez, une grosse tache rose en forme de triangle avec deux petits ronds noirs pour les narines et dessous, un collage dessine ses lèvres roses.  Je l’imagine encore découpant les morceaux de  feutrine, vert bouteille pout son pull-over et bleu foncé pour le pantalon, le tout collé avec minutie sur le carton. Un bout de feutrine blanche pour les moufles et un coup de peinture brune pour les chaussures. Mais ce qu’il n’a pas oublié de rajouter, ce sont ces deux morceaux de tissus marron à la hauteur des coudes et des genoux comme on en cousait autrefois pour protéger les vêtements. Pas forcément esthétique, cette mode aujourd’hui disparue ! Et comme elle, il va bientôt disparaitre ! Un pied  s’est arraché et une main s’est perdue. La feutrine a vieilli et s’est décolorée ; par endroits, elle s’est même décollée. Et pourtant, je ne me résous pas à le jeter. C’est lui qui me sourit chaque matin. Comment pourrais-je m’en séparer ?
Il y a aussi ce poignard dans sa gaine de cuir me rappelant les feux de camp et les randonnées à travers la France. Il était bien utile pour couper branchages et ficelles, ce petit calot noir bordé d’un galon doré sur lequel est accrochée une chouette, symbole de la sagesse et du savoir, souvenir encore plus lointain de ma dernière promo au lycée ! Et cette petite bonbonnière oblongue en porcelaine qui me fut offerte il y a si longtemps. J’avais sept ans, je crois.
Et tant de souvenirs que l’on ne peut jeter car ils ont marqué des étapes de nos vies !

Marie-Thérèse
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Et de devoir écrire sur du matériel me chagrine, d’autant plus que tout peut être englouti par les aléas de la vie. Alors, si du jour au lendemain on devait faire un choix pour tel ou tel objet particulier qu’il s’agirait d’emporter et de garder impérativement sur soi, ce serait mon téléphone, oui. Mais je réalise bien que ce serait totalement illusoire et inapproprié si je devais me retrouver exilée dans un endroit où les prises électriques ne sont pas compatibles et que les raccordements ne sont pas faits. Et si dans mon pire cauchemar je me voyais télescopée en plein désert de Gobi ou du Sahara sans une goutte d’eau ni provisions pour subsister… Il s’agirait de revoir rapidement mes priorités ! Alors, quel serait cet objet ou ces objets qui sont d’une priorité absolue, qui ne payent pas de pain. Eh bien, ce serait ma brosse à cheveux et ma pince à épiler. Oui, c’est étonnant ! Car j’ai des restants de féminité. Et le respect que je me voue avant de vouloir paraître et apparaître comme je suis vraiment me dicte que je dois prendre soin de moi avant de m’attarder sous le regard d’autrui. Tout un chacun le sait, laisser son empreinte génétique sur ces objets personnels ne regardent que moi et la justice, évidemment, en cas de litige avec la police. Et une belle chevelure viendrait du fait que l’on s’en occupe certes mais qu’on lui apporte beaucoup de soins. Et avec cent coups de brosse le soir venu, la bien séance dit que l’on ressemble à une princesse des mille et une nuit. Alors ne nous en privons pas. C’est dans les contes que je me suis ressourcée. Mais ils ne m’avaient pas dit qu’un jour, je deviendrai poivre et sel et que je blanchirai inexorablement, devenant dépendante des teintures et autres produits chimiques. Alors ma brosse en voit de toutes les couleurs et ma pince aussi. Elles se retrouvent couvertes et recouvertes de mon système pileux trop productif, à cheveux caduques qui tombent l’automne venu et en cas de fatigue intense. Si je ne prends garde, la calvitie me guette et je n’aurai plus qu’à me mettre une moumoute ou une perruque et ne chanterai plus la chanson d’Antoine « Maman m’a dit d’aller me faire couper les cheveux… Je lui ai dit dans vingt ans, si tu veux »

Claudine
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On ne peut se séparer :
- de ses lunettes, de ses  appareils dentaires, de ses prothèses auditives qui sont devenus vitaux. Sans eux, nous sommes complexés par une apparence peu flatteuse et inconfortable.
- le téléphone portable qui ne nous quitte pas, qui fait partie de nous, qui est le lien avec notre famille, l’entourage, l’administration. C’est un objet sur lequel on peut compter en toute circonstance, pour écouter une voix chère à n’importe quelle distance, c’est un S.O.S. que l’on lance, c’est un cri d’amour, c’est un renseignement qui nous évite un déplacement. Ce sont les photos, les visages que l’on peut voir à distance, les paysages fantastiques. Que ferions-nous sans lui, même si il date, c’est comme un vieux doudou. On verse une larme pour le remplacer s’il ne fonctionne plus, même contre un modèle plus actuel, plus performant mais que l’on n’aimera jamais autant !
- Ce sont les petits transitors mono qui ont un son bien audible, que l’on emporte partout pour les écouter : sous nos oreillers quand la nuit se fait longue. Ils ont beaucoup voyagé depuis des années. Ils sont au fond de nos sacs même pour une nuit passée loin du domicile. Nous en avons reçu d’autres en stéréo avec télécommandes. Mais on ne peut se séparer de ces petits transitors qui avaient remplacé les postes à lampes branchés sur l’électricité. Lorsqu’ils rendront vraiment l’âme nous auront un pincement au cœur en les mettant au rebut, devenus muets pour l’éternité ; mêmes sentiments ressentis en jetant sa vieille poupée ou son vieux camion.
Ainsi va la vie et l’attachement pour des objets familiers.

Mireille

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