vendredi 30 mars 2018

UN DEBUT ET UNE FIN

Ecrire un texte qui commence impérativement par "Elle avait bien soixante-dix ans..." et se termine par "il fut donc décidé qu'on aurait un chien."
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Elle avait bien 70 ans et empoisonnait la vie de ses neveux et nièces depuis déjà une dizaine d’année. Les maisons étaient accolées l’une à l’autre et pas un jour ne se passait sans qu’elle ne vienne fureter et donner son avis sur tout et rien, de la couleur des coussins au salon comme des chaussures de sa nièce. Elle venait sans invitation mais personne n’allait chez elle sans y être dûment convié. C’était une vieille fille célibataire qui avait du être malheureuse toute sa vie et reportait son aigreur sur tous y compris sa famille qui ne manquait pourtant pas de gestes d’affection à son égard. Mais depuis quelques temps la situation devenait pesante. Elle arrivait sans tambour ni trompette, coiffée de son chapeau violet à voilette  de tulle car elle avait envie d’un café ! Il se trouve qu’au même moment la famille recevait une connaissance de vacances passé leur dire bonjour. Tout à coup ils entendirent des cris mêlés à des aboiements. Ils se précipitèrent dehors et virent la tante se tenir droite comme un i serrant contre son cœur son sac à main comme si ce sac pouvait devenir un trophée pour ce chien, le chapeau à voilette en bascule sur la tête et à ses pieds le chien qui grondait. Un sifflement net et précis ramena le chien auprès de son maître, ce dernier était très étonné du comportement de son animal. La tante blanche comme un linge expliqua qu’elle était depuis toujours terrorisée par les chiens. Une fois le café et pousse café pris pour se remettre elle retourna chez elle à tout petits pas comme encore émotionnée. Une fois la porte refermée il fût donc décidé qu’on aurait un chien !

Fabienne
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Elle avait bien soixante-dix ans. Elle marchait droit comme un I, d'un pas rapide et pressé  sans véritablement prêter attention aux bruits et aux mouvements ambiants. Sa mise en plis impeccable d'antan avait fait place à  un carré  de cheveux poivre et sel. Plus pratique à entretenir sans produits chimiques. Son regard direct, avec ses pupilles illuminées de bonnes intentions, brillait de toutes les jolies facettes de son âme bienveillante. Il reflétait toute les émotions diverses et variées qu'elle seule pouvait évoquer. Il a continué de scintiller des années durant. Elle affichait un sourire discret et presque constant. Ses éclats de rire soudain rompaient le silence et balayaient en une jolie bourrasque toute la monotonie et la mélancolie ambiante autour d'une tasse de café et d'une tranche de quatre quart allégé en beurre et en sucre. Elle aimait la vie. Elle aimait cuisiner. La pâtisserie était l'une de ses activités favorites. Elle s'occupait et s'affairait tout au long de la journée et je me souviens d'elle comme étant une championne du rangement et de l'organisation. Elle était partout : au fourneau comme aux papiers, de la cave au grenier. C'était un petit cordon bleu et un oiseau d'extérieur.
Une femme, une travailleuse sociale, une mère,  une grand-mère,  une amie, une bonne collègue, un pilier de la société à laquelle elle se consacrait corps et âme. Elle s'attachait à aider son prochain ne ménageant pas sa peine selon ses disponibilités. Elle était à l'écoute : saisissant les nuances, le sens et l'essence profonde d'autrui selon ses ressentis. Elle était délicate et d'une efficacité redoutable dans ses recherches pour trouver une solution adéquate pour satisfaire la clientèle, ses relations et son entourage direct. Sans ostentation et surtout avec beaucoup de discrétion elle nous faisait part de ses conclusions jamais hâtives  qui s'avéraient souvent être des suggestions. Elle savait se montrer intègre et loyale. Une confidente sûre et avérée. Jamais dans le jugement arrêté mais dans la sollicitude et le désintéressement.  Elle était disponible et ouverte sur le monde. Elle y était ancrée. L'aggravation de sa surdité l'a complètement changée. Son hypoacousie l'a plongée peu à peu dans ce brouillard cotonneux avec ces sons gênants et inadéquats perçus avec un appareil auditif qui serait mal réglé. On la sentait énervée, stressée, voire indisposée. Elle pouvait avoir des réactions quelque peu agressives. Mais surtout ce qui était le plus gênant, c'était qu'elle se retranchait. Elle s'isolait de tous et de tout. Un monde de silence et de sons désagréables totalement indépendants de sa volonté. Elle subissait. On sentait une souffrance extrême dans ses pupilles bleues fatiguées. Elle pouvait sursauter et se montrer ô combien surprise et prise d'une bouffée de colère soudaine quand au détour d’un chemin on pouvait lui tapoter sur le bras pour attirer son attention. Elle ne nous avait ni entendu, encore moins aperçu. Une main sur l'épaule en somme inoffensive qui était perçu comme un geste agressif à son encontre. Il occasionnait un mouvement vif de sa part. Elle sortait de sa torpeur. Comme si on la sortait d'un rêve.  On aurait presque senti son cœur battre à rompre. Le temps s'arrêtait sur les aiguilles d'une horloge à qui on refuserait le droit de s'exprimer avec ce tic-tac bien habituel et rassurant pour bon nombre de personnes âgées le plus souvent. 
Impossible de participer aisément à une conversation, même en prêtant l'oreille, avec ces acouphènes terribles et résistants aux réglages. Difficile de se rendre à une conférence ou d'écouter les dialogues lors du visionnage d'un film sans sous-titres. Avec le risque de ne pas en comprendre ni le sens, ni la portée, ni les détails. Comment pouvoir suivre son feuilleton favori sans faire hurler la télévision? Ça devenait difficile pour elle, ses proches et ses voisins. 
Elle qui adorait écouter le chant des oiseaux, le mouvement des chats et l'aboiement des chiens au loin... Il ne restait que le langage gestuel et suggestif. Un langage intuitif. Une compréhension qui demandait des efforts à ses proches et moins proches. Mais avec les animaux, tout se passait comme sur des roulettes, euh, sur coussinets. Ceux dont justement disposaient les chats et les chiens. Alors il fut décidé qu'on aurait un chien.  

Claudine
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Elle devait bien avoir soixante-dix ans, nous avions fait sa connaissance quand mes parents avaient choisi de s'installer dans ce nouvel appartement, c'était notre voisine de palier.
Bien sûr au début les rapports se limitaient  à un simple bonjour quand on  la croisait mais c'était tout, elle était discrète et calme, aucun bruit ne filtrait chez elle. C'était donc pour nous la voisine idéale et rien que pour ça, déjà nous l'apprécions.
Cette personne était grande, assez forte, et elle avait surtout des jambes en bien mauvais état. Je les revois gonflées, douloureuses sans doute, je crois me souvenir qu'on venait parfois lui prodiguer des soins à domicile.
Un jour où elle avait échangé quelques mots avec ma mère, celle-ci a fini par lui proposer de lui rapporter son pack d'eau, c'était bien lourd à porter pour elle et nous disposions d'une voiture de notre côté. Je pense qu'elle a été touchée et de ce jour, ma mère lui rapportait sa provision d'eau chaque semaine, d'autres choses aussi parfois quand elle avait un besoin particulier et qu'elle ne trouvait pas à proximité. Elle posait toujours la question avec un peu de gêne à l'idée de déranger et bien évidemment pour mes parents ce n'était vraiment pas un problème. Vu l'état de ses jambes, elle se déplaçait peu et n'allait jamais bien loin en s'aidant de sa canne, c'est ainsi que tout doucement des liens se sont tissés.
A partir de ce jour mes parents n'hésitèrent plus à lui proposer leurs services si nécessaire et elle acceptait bien volontiers, avec gratitude, sans jamais abuser toutefois. Et pour remercier, régulièrement ma mère se voyait gratifiée d'un beau bouquet de fleurs et petit à petit nous avons commencé à mieux la connaître. On appris  ainsi qu'elle avait deux fils très proches d'elle mais qui ne pouvaient pas non plus être présents chaque jour, ils avaient leur vie, leur travail et de plus ils n'habitaient pas tout près. Le plus jeune lui amenait sa fille d'une dizaine d'années à garder chaque mercredi, c'était un véritable rayon de soleil qui entrait dans sa vie ce jour-là. Elle se mettait alors à lui confectionner des tartes, sucrées ou salées, tout ce qu'elle savait lui faire plaisir.
Nous constations que le mercredi  elle était particulièrement heureuse, elle n'était plus seule et, une fois les devoirs et leçons terminés, elle se distrayait avec l'enfant en jouant à divers jeux de société apportés par la fillette, les rires fusaient. C'est que l'appartement était devenu bien grand et bien vide pour elle seule à présent, ses enfants avaient naturellement fait leur vie, son mari était hélas décédé prématurément, elle vivait donc dans une complète solitude.
Le silence peut parfois être trop pesant et tout ceci fit réfléchir mes parents, ils redoutaient de se trouver un jour dans la même situation que notre voisine. Après qu'ils y aient longuement réfléchi, et pour être certains d'avoir toujours de l'affection à partager et une présence à leur côté, il fut donc décidé qu'on aurait un chien.

 Paulette
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Elle avait bien soixante-dix ans mais en paraissait beaucoup moins.  Grande et svelte, pratiquant le sport de façon assidue, Liliane ne se sentait pas vieillir. Dynamique, rien ne lui faisait peur. Elle tenait encore sa place sur les courts de tennis et n’hésitait pas à participer aux tournois. Elle aimait aussi  aller faire un tour dans les airs sur un petit ULM qu’elle avait appris à piloter bien des années auparavant. Elle ressentait alors un plaisir intense à monter ainsi par degrés se sentant libérée de toutes contraintes.  Voler au-dessus de la campagne et dominer la ville lui donner une impression étrange comme si elle s’était transformée. Elle n’avait plus les pieds sur terre mais elle pouvait admirer le splendide paysage qui se déroulait sous elle. Cette ville posée sur la terre comme un jeu de construction en miniature avec son  minuscule clocher et ses  maisons de poupée et tout autour à perte de vue les champs aux couleurs si diverses, les verts amande ou olive, les ocres clairs ou foncés, les oranges, les gris cendrés ou les noirs profonds. Parsemés de ci, de là, faisant tache sur ce tapis multicolore, de petites boules plus claires signalaient la tête des arbres. La route n’était plus qu’une longue ligne sombre qui courait tout droit à l’infini et la rivière se muait en un long serpent au dos argenté. Heureuse de ce temps de répit, gorgée d’énergie, elle revenait vers des besognes  plus ingrates ou du moins qui ne la passionnaient guère.
Elle continuait aussi, bien que seule maintenant,  à partir  parfois  en virée dans une autre région de France. Elle les avait pratiquement toutes parcourues avec le club ou avec des amis. Pour une quinzaine voire un mois, elle voyageait même à l’étranger : L’Irlande, la Norvège, la Grèce, l’Italie et plus loin encore la Turquie ou l’Egypte.
 Et ce fut un de ces jours fatals où elle se rendait en bus jusqu’à l’aéroport qu’une collision lui coupa les ailes. Elle n’eut qu’une fracture de la jambe  et du genou mais qui, malgré tous les soins,  lui laissa une claudication suffisamment importante  pour lui interdire le tennis et les vols en ULM.  Adieu terrains de sport et autres plaisirs solitaires ! Cet accident banal vint lui rappeler brutalement qu’elle n’était plus aussi jeune qu’elle le croyait. La récupération ne se faisait que très lentement. Après son hospitalisation, sa fille vint l’aider les premiers jours et elle retrouva bien vite sa solitude. Elle dut s’habituer à une nouvelle vie où le plaisir de marcher remplaça ses anciennes passions.  Elle s’en allait  dans le grand parc où elle regardait évoluer les oiseaux. Parfois, elle pouvait apercevoir des écureuils grignotant les dernières noisettes, mais elle s’ennuyait. Marcher ne lui procurait guère ce ressenti intense de libération que si souvent elle avait vécu après un match gagné ou une envolée dans les cieux. Les mois passèrent et peu à peu la tristesse s’installa sur son visage jusqu’au jour où, dans son immeuble, juste en face de chez elle,  au rez-de chaussée, le locataire vint à déménager et céda sa place à un jeune ménage avec un garçonnet. Maxime  était vif et enjoué.  Elle le voyait jouer dans la cour, sautant à la corde ou marchant à cloche-pied. Il adorait aussi les animaux, le chat de la voisine du 3ème et même le labrador du second. Quelques temps après, Lingo, un petit teckel,  fit son apparition. De sa fenêtre ouverte, Liliane entendit les parents expliquaient à la  voisine du 3ème : «  Nos amis ont une portée de chiots, il fut donc décidé qu’on aurait un chien. »

Marie-Thérèse
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Elle avait bien soixante-dix ans maintenant… mais voilà que son acharnée de fille lui resservait l’offre publicitaire alléchante qu’elle lui avait déjà concoctée, 20 ans plutôt. Jugez-en ! Je me souvenais avoir apprécié l’offre et l’argumentaire que j’avais glissé dans mon tiroir aux « perles ». Mais, hélas pour ma fille, je ne pus alors lui faire plaisir en adoptant Lulu. Les années ont passé… La solitude est venue… Parfois, les « arguments » avancés autrefois me reviennent mais j’ai toujours de bonnes raisons de résister : en ville, un chien même petit, ce n’est pas une bonne idée, il lui faut de quoi se défouler, ça fait du bruit… par contre, c’est fidèle. Plus qu’un chat qui du jour au lendemain se choisit un nouveau maître. Le chat a plus souvent retenu mon attention, j’en ai adopté pour diverses raisons. J’aime son indépendance, son silence, le plaisir partagé des caresses. C’est très propre, un chat. Et il y en a d’une telle variété. Mais c’est bien sûr un être vivant dont il faut s’occuper. De plus, toutes les portes ne lui sont pas ouvertes même si maintenant quelques Ehpad l’offrent à leurs résidents. Bref, je ne me décide pas. Cependant, j’ai trouvé une alternative. La maison de ma fille étant bien fournie en animaux de toutes sortes, j’observe avec intérêt ce monde pas si éloigné du nôtre. Deux grands chiens, Lorette et Yako, me reconnaissent dès ma sortie de voiture et gratifient mon costume de ville de multiples empreintes de pattes, en hurlant de joie, ce qui à chaque fois me sidère, et m’émeut. Les chats, moins extravertis, sont plus discrets et me retrouveront plus tard, au moment qui leur conviendra. Quand je séjourne dans cette maison pleine de vie, j’observe les changements intervenus en mon absence au sein de la gente animale : le renouvellement du poulailler suite au passage intempestif du renard, les nichées de poussins et de canetons, les adorables agneaux venus au monde, les adoptions (récemment un choucas tombé de son nid). À présent, les chiens commencent à vieillir et à l’occasion de leur renouvellement, je m’attends à un nouvel assaut de la part de ma fille, et peut-être alors il sera décidé que j’aurai un chien.

Françoise
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Elle avait bien soixante-dix ans, elle vivait terrée dans le Massif des Maures, dans le Var, jusqu'au jour où un incendie criminel, un de plus, ravagea l'Estérel. La maison avait été épargnée par le feu, mais les flammes avaient calciné les buissons et léché le parc. Tatou, la tortue d'Hermann, ou tortue des Maures, appartenant à une espèce très menacée, était très attachée à son lieu de vie, certaines de ses congénères, ayant survécu à l'incendie de 2003, sont retournées sur leur territoire ou continuent à le fréquenter, malgré sa dévastation, en quête du terrarium. Tatou a dû périr écrasée par les véhicules de secours, les engins de débroussaillage, noyée par les rotations des canadairs. Pour les enfants il faudrait un autre animal, fidèle, joyeux, dynamique, un bon gardien, facile à transporter vers les lieux de villégiature : on décida qu'on aurait un chien.

Marie-Christine

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