samedi 23 juin 2018

DANSER

Dans la pénombre du vestiaire, la jeune femme revêt une robe rouge écarlate parsemée de mille cristaux, un collant, des chaussures noires. Ses cheveux tirés en chignon, elle pique et attache un petit bouquet de fleurs rouge. De l'autre côté du banc, son compagnon de danse s’habille d'un pantalon noir ajusté, et d'un gilet du même rouge que celui de la robe... Ses chaussures mises, l'attente commence. L'appréhension les saisit, les mains deviennent moites. Dans leur tête ils répètent les pas, les allures, les positions des bras, des mains, des jambes, des pieds durement appris pendant des heures, des mois, des années pour enfin arriver à ce championnat. Ils ne doivent pas décevoir, se décevoir...
Une personne passe la tête dans la pièce, c'est maintenant à eux... Un regard, une pression de main, pas besoin de mots pour se comprendre. La danse exprime à elle seule toutes les émotions. 
La piste est grande, immense... Les juges bien en face patientent. Enfin, l'éclairage les met en avant. Ils avancent élégamment, un sourire sur le visage, et saluent le jury et les spectateurs.
Rejoignant leur place, ils se rassurent d'un petit regard et guettent la première note de musique.
Alors, les corps se mettent à vibrer, se cabrer. Les pas s'enchaînent, se mêlent. La technique est bien maîtrisée. Un coup à gauche, un coup à droite, une envolée, la robe s'illumine et tourbillonne à chaque mouvement. Le désir, la sensibilité, l'amour, la jalousie, la haine se jouent sur la piste dans les pas, les jetées, les enlacés. Les deux corps n'en font plus qu'un pour vivre ce tango endiablé.
Arrive la fin de la prestation, et c'est dans un courbé magnifique que le tango s'arrête. Aucune parole, aucun bruit ne se fait sentir pendant quelques secondes, puis c'est un tonnerre d'applaudissements. 
Qu'importe les notes des juges, ils ont tout donné, ils ont vécu leur danse et y ont mis tout leur cœur.... Le souffle court, les corps luisant de sueur, l'espoir et la crainte des notes les angoissent. 
Enfin... Les notes tombent.... 
Victoire ! Ils sont premiers !!! Les années d'apprentissage, de douleur, de bonheur, de répétitions, de pleurs, de rires, sont récompensées. 

Valérie
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En ce jour de la fête de San Diego, les villageois des communautés voisines et ceux  d’Ishua, petit bourg au cœur des Andes se sont tous rassemblés en cercle  sur la place, formant comme une arène. Quelques étrangers curieux du spectacle se mêlent à la population. Assis à même le sol, ou debout,  ils les attendent ces « fils du diable » comme les appelaient les espagnols. Mais pour eux, habitants de cette région, ce sont les mages, les interprètes de leurs dieux mythiques : Les Wamanis qui règnent sur les montagnes et la Pachamama, la déesse de la terre. Ils arrivent.
 Ils les ont déjà vus hier dans leur habit d’apparat, rutilant au soleil portant ce costume si complexe qu’il n’a pas moins de quinze pièces ! Sur la  chemise blanche aux larges manches, ils ont passé  le gilet sans manches, et mis le foulard autour du cou  puis enfilé leur petit poncho et ceint leur pantalon de velours court et évasé d’une large bande de tissu colorée qu’ils ont nouée autour de la taille. Ils y ont suspendu  cette  large pièce de tissu triangulaire qui descend jusqu’aux genoux, arborant un dessin particulier en relief. Comme chaque pièce, elle est brodée de fils de métal ou  d’or mêlés à la laine aux couleurs vives et  forment ainsi des motifs et des figures propres à chaque danseur. Tout y est symbole de leur rôle d’intermédiaire entre les dieux et le monde terrestre. Des rubans multicolores pendent de tous côtés et de petits miroirs incrustés dans les tissus brillent au soleil ainsi que  sur leur énorme chapeau si caractéristique  couvrant leur bonnet de laine.  A la main droite, ils tiennent un mouchoir rouge et dans l’autre, ces deux lames de 25 cm de longueur, en  métal et séparées. L’une représente le mâle et l’autre, la femelle. Elles furent le symbole de la résistance à l’envahisseur espagnol.
Ils vont les faire claquer tout en dansant et se contorsionnant ou luttant. Les voilà donc ces « danseurs de ciseaux » accompagnés chacun par un violon et une harpe andine. Le rôle d ces instruments est aussi très important car c’est eux qui rythment et soutiennent le danseur par leur musique et soulignent celle des lames qui s’entrechoquent
Aujourd’hui c’est le grand jour, celui de la compétition, de la rivalité des équipes. Chaque trio alterne et se relaie. Alors commencent les différentes phases de cette danse rituelle quasi sacrée dont la chorégraphie représente les esprits des dieux andins.  Après le salut et la parade, viennent le chant et le début de la danse elle-même, des pas, des sauts, des entrechats et des pointes, des virevoltes ou des demi-voltes. Puis le ton de la musique s’affaiblit pour que résonne avec force le claquement  des ciseaux. A eux seuls, ils créent leur propre musique donnant le rythme au  danseur qui continue à évoluer. Le violon et la harpe andine reviennent en force. C’est le moment des figures à petits pas et sur les pointes  suivi de celui des grelots qui s’agitent avant de redonner leur place aux cris des ciseaux. Le danseur exécute alors  force acrobaties, se jetant au sol, se relevant, se couchant sur le dos ou se roulant par terre pour mieux sauter en l’air sans jamais lâcher ses ciseaux  ni même arrêter de les faire s’entrechoquer ne serait-ce qu’un instant. Et vient alors l’heure de l’affrontement où sont mis à l’épreuve, le savoir-faire, l’habileté et la résistance physique  de deux danseurs, face à face. La foule crie, encourage ou siffle, ponctue les escarmouches de battements ou d’applaudissements. Par des mimiques, les danseurs se moquent de leur rival ou des autorités et les  critiquent.

 Enfin, le gagnant désigné par les spectateurs, est reconnu comme l’élu des dieux et leur messager. Les danseurs terminent alors par un simulacre d’agonie et font leurs adieux, toujours en dansant et en faisant claquer leurs ciseaux.

Marie-Thérèse
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Adèle, enfant, restait à la maison avec sa tante et sa grand-mère quasi mutiques ; ses parents s'éclipsaient parfois le soir, sans prévenir, sans explications, pour aller danser très loin du logis.
La petiote le réalisait car ils avaient troqué leurs habits de travail contre d'autres plus sortables. Pour tuer le temps, craignant malgré tout qu'il ne leur arrivât malheur, elle se préparait, la mort dans l'âme, une infusion de tilleul de la dernière récolte, sur le trépied posé dans l'âtre rougeoyant.
Elle se résignait, c'était le vide !
Il y eut un bal dans une maison, au hameau, à l'occasion d'une noce : le père jucha Adèle sur ses épaules ; la lumière s'éteignit, seul le feu brûlait dans la cheminée : tout le monde criait de joie ou de surprise : l'enfant, du haut de ses trois ans, n'était pas rassurée.
Plus tard, elle apprit l'existence de la fête locale : le bal était arrosé de confettis que les danseuses retiraient en gloussant ou en minaudant de leurs corsages : les réjouissances battaient leur plein, les pétards faisaient tourbillonner la poussière dans le foirail à bestiaux.
C'était la période des moissons : ayant travaillé très dur dans les champs, Adèle espérait aller à la fête, voir danser, à défaut de pouvoir se payer un tour de manège. N'ayant pas de chaussures, un voisin avait trouvé dans son échoppe des chaussures dont il scia les talons. La journée, électrique, se clôtura par un drame, suite au dérapage d'un proche, tout le monde alla se coucher sans mot dire.
Plus tard Adèle passa une année dans un hospice : penser au bal eût été sacrilège.
L'année suivante, elle partit sous d'autres cieux, dans une famille d'accueil intégriste : le seul mot de bal était tabou, péché mortel, lieu de perdition, selon la formule consacrée.
Le premier bal : j'y suis allée à plus de vingt-cinq ans, à l'occasion d'un mariage, nippée comme une enfant de Marie : j'ai repoussé les propositions d'un cavalier qui a fait ses affaires ailleurs.
Il n'y eut pas de bal pour mon mariage.
Depuis, j'ai dansé une fois au bal du 14 Juillet à Gentilly, mais seule, pour suivre le mouvement et ne pas faire banquette.
Enfin, à l'aube de mes soixante ans, je suis allée au Club de Mimi Pinson, Rue Quentin Bauchard, sur les Champs Élysées : nous étions quatre cents danseurs en ligne pour le madison, en piste pour la valse, le rock etc  Un professeur de danse de Reims m'a appris le tango, une danse très physique, sinon c'est un lieu où il faut éviter de se mettre dans l'embarras : il faut savoir ce que l'on veut.
Vraiment j'avais la danse chevillée au corps : les spectateurs étaient nombreux, nous étions en représentation.
Le thème du bal est fréquent en littérature depuis le siècle de Louis XIV, c'est un phénomène social dans la bourgeoisie, le bal sert à se montrer, parfois ces démonstrations tournent mal comme Le bal du comte d'Orgel de radiguet ou le Bal d'Irène Nemirosky, où l'adolescente est mise au rebut, dans le débarras par des parents infréquentables, imbus de leur ascension ; la victime avait jeté les deux cents invitations dans la Seine.
Je n'ai pas beaucoup dansé faute de temps, de moyens ; le moral n'était pas souvent au rendez-vous, mais j'aurais beaucoup aimé tournoyer au rythme des valses de Vienne.

Marie-Christine
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Quand j’étais petite, j’étais inscrite comme ma sœur et plus tard mon frère au cours de danse rythmique du jardin d’enfants que nous fréquentions. Je crois me souvenir que le cours avait lieu le jeudi en fin d’après midi.
Nous avions toute la même tenue, les filles en juste au corps noir avec petit tour de satin noir froncé à la taille, pour les garçons un collant avec un sous-pull. Aux pieds des demi-pointes de cuir noir de chez Repetto.
J’ai très souvent été la plus petite du groupe cela n’a pas faillit à la danse, donc pour les spectacles de fin d’année j’étais avec ma grande copine Marie-Claire sur le devant de la scène. J’adorais la danse, ma sœur appréciait sans plus. Le soir nous montrions à nos parents ce que nous avions appris même mon frère nous bousculait en disant « à moi, à moi ». Mon frère a fait 3 ans de danse, ma sœur jusqu’à ses 16 ans et moi mes 18 ans. J’adorais cela. J’appréciais de faire coïncider mon corps avec la musique, de le sentir libre de faire le mouvement qui me passait par la tête. Je me rappelle que nous nous échauffions d’abord en courant autour de la pièce, quelques exercices d’étirement puis le cour commençait vraiment et nous savions que nous arrivions vers la fin du cours quand mademoiselle Françoise mettait de la musique et nous laissait improviser dessus.
Aucune d’entre nous n’est devenue danseuse alors que certaines étaient très souples et avaient beaucoup de rythme. On s’amusait au cours et on continuait de s’amuser avec le spectacle de fin d’année en cherchant quel costume on allait mettre. Pendant 2 à 3 ans j’ai aidé le professeur pour le groupe des petits et j’adorais cela. Je n’ai jamais rêve de devenir danseuse, je n’avais pas envie de torturer mon corps, ni de rivaliser avec les autres. J’ai juste pris immensément de plaisir à danser pour moi et pour les autres. J’ai eu aussi la chance d’aller à des spectacles de danse, le clown à la rose avec Jorge Donn et le boléro de Ravel avec Béjart m’ont enchantée. C’est avec une pointe de nostalgie que j’évoque tous ses souvenirs lointains…

Fabienne
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De quatrain en quadrille,
Le menuet, la gavotte
Guident les pas 
Des favorites dévotes. 

En chaussons ou escarpin
Aux gros nœuds plats
Du bout du pied
Rythme en alexandrin
L’élégance mondaine
Des aristocrates
A la lanterne.

Dans leur corset : les lacets
Enserrent les jolies gorges
Qui dans un rythme apaisé
Soutenu au son de l’épinette
Et du clavecin : bel ancêtre
De nos actuels claviers

La lyre joue la ritournelle
Et sous les balcons : la mandoline
Pour la bagatelle…
Pour séduire le cœur des demoiselles

On y danserait l’Arlésienne
En espadrilles
Dans le sud de la France
Ou du coté de Séville
Et Bizet ne ferait pas des siennes
Face à un public averti
Loin des courtisans
Cachés derrière les paravents
Et des courtisanes s’éventant
Eventail japonisant tout en pavoisant.

En Autriche, sur les bords du Danube
Dans les salons des palais Impériaux
Les danses de Vienne 
La valse bleue est devenue un tube
Des danses de Vienne magnifiées
Par Offenbach : un romantique personnifié.
A la grande impératrice : Sissi
Remarquablement interprétée 
Par Romy...

Puis en remontant
Du coté de Ménilmontant…
Maurice Chevallier
Tout en couleurs, et si contrasté
La java, le tango argentin
En jolis escarpins
Jupes et robes
Comme les mains
Très près du corps :
Senteurs de musc et de jasmin.
  
 En notre pays Celtique
Dont les ancêtres dansent la gigue
Aux danses folkloriques 
Corses, Basques, 
Auvergne et la bourrée
En sabots dans un lit de paille
Aux boléros ajourés 
Breton et ses chapeaux ronds
Son cidre, son  hydromel, sa bière  
Ses festnoz
Ses Paimpolaises et les bigoudènes
En hautes coiffes tout en dentelle
Au son de la cornemuse
Et de la harpe celtique
Jouent du pied, mains sur les hanches
Sans déhanchés exagérés.

Jusqu'à l'Alsace,
Et ses coiffes
Tout en velours et cols dentelle… 
Ravissent nos prunelles
Face à leurs maisons coquettes
A colombages comme en Normandie…

Au sirtaki
Où on est ravi dans les iles grecques
De danser main dans la main
En levant tour à tour  chaque pied
En martelant la terre battue
Un peu chaque soir
Et pourquoi pas : le matin

Aux danses slaves à la polka
Que mène un air de balalaïka 
En chaussons, en ballerines
En tutu, en costume bleu marine...
En chausses, en guêtres, 
Que de tailles de guêpe
A la guêpière
Dans un corset lacé
Sous la pluie ou en salon, 
En souliers à claquettes 
La mazurka 

Que de jolies danses…
Des jupons sur la crinoline 
En quatrain en quadrille,
Le menuet guide les pas...
En escarpins, en espadrilles,
Le tango, la valse, la salsa

Claudine
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Dans son joli tutu blanc,
Aérienne et souple comme un roseau,
Note danseuse virevolte en suivant la musique.
Ses pointes tournent et sautent,
Entrechats, cabrioles et développés se succèdent,
Sans nul doute, étoile elle finira.

Dans son joli tutu blanc,
Aérienne et souple comme un roseau,
Notre danseuse virevolte en suivant la musique.
Ses pointes tournent et sautent et ainsi,
Entrechats, cabrioles et développés se succèdent.

Battre des pieds en sautant,
Arabesque ou attitude,
La danseuse s'active sur scène,
Les jambes et les bras en mouvement.
Elle est absorbée par sa prestation,
Rien ne peut troubler son travail,
Impossible de la distraire de sa chorégraphie.
Nul doute, elle aura encore donné le meilleur d'elle-même,
Être une étoile n'est pas chose facile.

Sur la scène tous les danseurs attendent,
Pointes en cinquième position,
Ensemble ils vont s'élancer sur scène.
Chacun est attentif et concentré,
Tous ne pensent qu'à réussir leur chorégraphie.
Applaudissement ensuite du public enchanté,
Courbés vers la salle, ils saluent,
Les danseurs sont soulagés et heureux,
Encore un ballet bien réussi à leur actif.

Paulette

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