samedi 29 juin 2019

TRAVAUX D'AIGUILLE, TRAVAUX DE FEMME

Je n’ai pas consacré beaucoup de temps aux travaux d’aiguille, dits de « femmes ». Autant je les ai admirés aux quatre coins de la planète, et quels qu’aient été la matière et les styles utilisés – végétaux, fibres synthétiques, cuir, plumes, perles… - autant je n’ai pas essayé de les pratiquer. Maladresse personnelle ? Importance du temps à y consacrer ? Absence de mentor… J’avais d’autres centres d’intérêt et peut-être que l’appellation convenue et réductrice « travaux de femme » m’en éloignait.
Pourtant l’histoire à consacrer le souvenir de femmes plus ou moins collectivement engagées dans la révolution sociale et politique, et pratiquant les travaux d’aiguille : ainsi les « tricoteuses » de la Révolution française. L’avantage pour ces dernières était qu’en tricotant elles pouvaient échanger, s’organiser dans leur nouvelle activité de citoyenne. Aujourd’hui, en ces temps de crise et de défense des emplois, j’ai admiré
l’assurance et le savoir-faire de ces ouvrières du textile, créatrices de sous-vêtements féminins en dentelle, qui se lançaient  dans une reprise coopérative de leur entreprise faute de repreneur.
Mais les travaux d’aiguille ont beaucoup d’attraits : ils sont charmants, transportables. Ainsi, d’un voyage à la Réunion, j’ai rapporté une adorable et délicate petite dentelle de Cilaos qui trône dorénavant sur ma tête de lit…
Artisanat féminin et populaire dans les pays dits « développés », les travaux d’aiguille sont aujourd’hui en recul et souvent en voie de disparition, sous les coups de butoir de la machine et du profit. Quel dommage ! Des fragments de beauté s’envolent, mais certains en se démultipliant sont repris par une infinité de petites mains savantes. Pour notre bonheur.

Françoise
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Madame Plagnard,  oui c’est cela, elle s’appelait madame Plagnard, la prof de couture au lycée de filles sur le cours de Vincennes, la mixité n’ayant été introduite chez les sixièmes qu’en 1975 après mon départ d’Hélène Boucher. C’était une petite bonne femme pète-sec aux cheveux déjà gris qui ne devait pas rigoler beaucoup. Je savais déjà dès la fin du premier cours de sixième que je n’allais pas vraiment m’amuser! Ma sœur avait essuyé les plâtres avec elle deux ans plus tôt et je m’en rappelais. Maman n’avait pas failli à ses devoirs puisqu’elle ne pouvait pas nous avoir appris à coudre ne sachant pas coudre elle-même ! Par contre, autre travaux d’aiguilles, elle nous avait appris à tricoter ! Elle devait être à moitié féministe seulement ! Donc ne sachant pas coudre, elle avait fait broder, par la couturière qui habitait dans notre immeuble, en rouge nom, prénom et classe en haut à gauche de nos blouses, une semaine la bleue l’autre la bise, fabuleuse couleur pour le teint mais qui permettait au premier coup d’œil de savoir qui s’était trompé de semaine surtout au retour des petites vacances. C’était donc mal barré pour moi.
Tout ce que je vais vous raconter est réel, ça ne s’invente pas. A l’heure du cours de couture, nous devions nous tenir en rang par deux dans le grand et large couloir devant la classe attribuée et tenir notre index droit en l’air muni de notre dé à coudre pour montrer que nous avions bien notre matériel. Certaines ont bravé la consigne en brandissant le dé sur le majeur tendu mal leur en a pris, elles se sont aussitôt retrouvées dans le bureau de la proviseure et ont écopé d’heures de colle ! Moi j’avais bien le dé mais je ne savais pas m’en servir. Lors du premier cours, madame Plagnard nous a annoncées que nous allions confectionner un béguin ! Vous savez ce drôle de bonnet fait de trois parties, que l’on mettait autrefois, bien avant 1968, sur la tête des bébés pour leur éviter d’avoir froid d’abord mais aussi pour maintenir bien en place les oreilles qui avaient tendance à être décollées. Pas franchement enthousiasmant le projet même pour celles qui savaient déjà coudre. Pensez donc comme j’étais jouasse. Mme Plagnard ne s’est pas immédiatement renseignée sur nos divers talents en cours mais elle s’est rapidement souvenue que j’avais une sœur aînée qu’elle avait eue en cours deux ans auparavant. Aussi me demanda t-elle devant l’ensemble de la classe si je savais ne serait-ce qu’un peu coudre contrairement à ma sœur. Ma réponse « bien sûr que non » a du lui paraître insolente car elle m’apporta un petit carré de coton blanc et une aiguillée de fil rouge, me demanda de lui rappeler le prénom de ma sœur, « Huguette » lui répondis-je. Elle traça alors au crayon noir un magnifique H  majuscule et scriptural sur le carré de coton et m’intima l’ordre de broder ! Ma sœur n’avait pas du lui laisser de bons souvenirs. Trop contente d’échapper au béguin, j’essayai maladroitement de faire quelque chose mais je dû manquer de conviction car à la fin du cours elle vint vers moi et tendit la main pour estimer mon travail. Jugeant que ce dernier n’était ni fait, ni à faire, elle libéra le fil de l’aiguille et avec celle-ci elle ôta les quelques points que j’avais tenté d’esquisser ! Je récupérais au début de chaque cours suivant le morceau de tissu avec son fil rouge dessus et à chaque fin de cours elle défaisait mon travail, telle une sorte de Pénélope des temps modernes. Cela dura quelques temps puis elle a du se lasser et ne s’est plus occupée de moi. Je passais le cours à rêver ou bien regarder mes congénères faire cet affreux bonnet qu’est le béguin. Je ne me rappelle même pas la note si j’en ai eu une et laquelle obtins-je. De toute façon maman était complice et se fichait totalement de la note, elle regrettait simplement qu’en tant que prof madame Plagnard ne nous ait pas appris à coudre. Je crois même que c’est la seule prof qu’elle critiqua devant nous. Je ne me rappelle pas qui m’a appris les rudiments de couture que je détiens et comme je ne manifestais pas un don particulier je m’en contentais pour faire les ourlets de pantalon ou fabriquer de petites pochettes de tissu même pas surfilées dans lesquelles je mettais, avant de les fermer par un ruban, des sommités de lavande récupérée chez mes parents pour sentir bon entre les draps ou vêtements. Quand je repense à madame Plagnard, je me dis que pour elle il était inconcevable qu’une femme accomplie ne sache pas coudre. 

Fabienne
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En gardant les troupeaux de vaches ou de moutons ou le soir, à la veillée, Maman tricotait des chaussettes de laine pour toute la famille. Je tenais les écheveaux en écartant mes bras tandis qu'elle faisait des pelotes. Elle utilisait souvent de la laine détricotée.
Maman tricotait silencieusement, entièrement à son ouvrage, activant les quatre aiguilles ; je n'ai jamais réussi, comme si je ne voulais pas empiéter sur l'un des domaines où elle excellait. Grâce à Maman personne n'a jamais souffert des pieds par les rudes hivers montagnards.
Plus tard, au collège, nous faisions des travaux manuels : chaussons, brassières, mais je devais me faire aider. Nous faisions aussi les jours de Venise, à échelle, le point de croix, de tige d'épine, etc ...
J'aimais la couture et la broderie. A cette époque, je réalisai un canevas au demi-point de croix : il s'agissait de la reproduction de la brodeuse de Vermeer.
Actuellement à Gentilly, une remarquable équipe de cousettes et de tricoteuses réalise des chefs -d'œuvre exposés à l'occasion de la journée des retraités, à la salle des fêtes de la Mairie : patchwork, soldats de la Première guerre mondiale, etc ...
Pour leur rendre hommage, j'aimerais bien leur faire une conférence sur la tapisserie de Bayeux de la Reine Mathilde.  

Marie-Christine
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Je n'aime pas les travaux d'aiguille mais une fois qu'on a dit ça,  quand c'est nécessaire  il faut bien s'y mettre, un  bouton à recoudre, un ourlet à faire. Il n'y a vraiment que dans ces moments-là que j'utilise ma boîte de couture.
Toute jeune j'ai brodé bon nombre de napperons pour ma mère qui les aimait, et qui aimait tout autant en changer. Le tout  premier est celui que j'ai réalisé à l'école pour la fête des mères, je m'en souviens encore très bien, il s'agissait d'une illustration de la fable de La Fontaine, «le renard et les raisins». Je me rappelle tout aussi bien des grands points de tige que l'enfant que j'étais avait brodé maladroitement ! Plus tard, c'est à la demande de ma mère que j'ai brodé un chemin de table et un  grand napperon rectangulaire assorti, des guirlandes de capucines en constituaient le motif principal. Je ne me rappelle plus du point que j'ai utilisé, le point de feston peut-être. J'ai brodé  aussi une grande nappe rectangulaire et les douze serviettes, je pourrais en citer encore beaucoup.
J'ai fait également du canevas, dont un représentant un paysage, il avait été mis sous verre par mes parents et accroché au mur de l'entrée. Par la suite, ma mère m'avait demandé de lui faire un immense canevas qu’elle voulait aussi encadrer et mettre  sur un mur de la salle à manger, au-dessus de son buffet. Je revois cet ouvrage qui était presque aussi long que le meuble, elle avait choisi «la remise des chevreuils» d'après Courbet. Elle savait tellement bien s'y prendre pour me faire toujours dire oui...
Le tricot n'avait pas non plus de secret pour moi, ma mère en était très friande, elle en a fait toute sa vie et s'y mettait dès qu’elle avait cinq minutes à elle. Au crochet, elle m'a entre autres confectionné une robe bleu turquoise, doublée naturellement. Je la portais à mon entrée dans le monde du travail, j'adorais cette robe qui soulevait beaucoup d'admiration autour de moi. Mes sœurs ont elles aussi beaucoup tricoté et, quand je n'étais encore qu'une  petite fille, c'est avec leurs conseils que j'ai tricoté des vêtements pour habiller mes poupées.
De leur côté elles ont continué à tricoter, cette année encore ma deuxième sœur m'a fait cadeau d'une écharpe qu’elle a réalisée au crochet, avec des chutes de laine. Mon autre sœur tricotait sans cesse aussi, d'abord pour sa fille, puis pour ses petits-enfants.
Contrairement à elles j'ai tout abandonné en vieillissant, ces occupations  ne m'ont plus guère intéressée, c'est toujours vrai aujourd'hui. A une exception toutefois, j'ai voulu tricoter pour ma fille que j'attendais, je lui ai confectionné une brassière et une paire de chaussons. Ce furent là mes derniers travaux d'aiguille, j'estimais ainsi avoir fait mon devoir de future mère.
Ces travaux sont-ils des travaux dits «de femme», ma chère fille vous dirait qu'il n'en existe aucun réservé aux seules femmes. Ainsi, chez eux il arrive que mon gendre repasse et que ma fille pose du carrelage ou du parquet....

Paulette 
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Dès son plus jeune âge, Léontine a été attirée par tout ce qui pouvait apporter autour d’elle  de la décoration et de la beauté que ce soit en cuisine ou sur les murs d’une pièce, sur un vêtement ou sur un quelconque objet qu’elle transforme en une petite merveille. Elle n’a pas son pareil pour coudre, broder ou tricoter. Elle possède ce qu’on appelle : «des doigts de fée». Les enfants revenant de l’école réclament-ils une tenue pour une petite fête. En un rien de temps, cherchant dans ses chiffons ou bouts de tissus, elle est capable à partir d’un tee-shirt de réaliser un costume de papillon ou de trousser une culotte de jockey sur un short de plage, agrémentant les couleurs, créant de véritables patchworks, entremêlant avec art, le papier crépon et la toile, les fils dorés ou argentés  et même des petits carrés tricotés. Aussi les autres mamans viennent-elles souvent lui demander conseil ou seulement admirer le dernier travail qu’elle a en cours. Léontine sait tout aussi bien entreprendre des ouvrages de longue haleine, comme cette longue nappe que, patiemment, elle orna de splendides motifs floraux, associant point de tige, point de Palestrina, et point de gerbe  ou encore cette série de douze petits mouchoirs portant chacun dans un angle le portrait d’un animal en plumetis. Elle en a d’ailleurs embelli les contours d’une petite dentelle de Calais. Smocks, guipure ou feston, rien ne lui est étranger. Sur les murs de sa salle à manger, elle a même imaginé de couper le papier peint à mi-hauteur pour y insérer une véritable frise en mosaïque qu’elle a posé elle-même. Plus tard, elle l’a reproduite à l’identique sur un  chemin de table que l’on peut voir en entrant.

Marie-Thérèse
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Les "travaux de couture" et les ouvrages en tout genre de tous les points sur des structures classiques ou originales ont toujours existé dédiés de préférence aux femmes : ravaudeuses, dentellières, ouvrières en fabriques artisanales ou ateliers clandestins, petites mains dans les maisons de couture, chapelières, ateliers de prêts à portée et de confection dans le Marais ou au carré du temple à titre d’exemple…Ou encore dans le 13ème arrondissement où grouille tout ’un petit peuple qui opère en monde souterrain. Les vieilles Singer, Paf et autres machines à coudre ne seraient ni sexistes, ni féministes et encore moins racistes. Aujourd'hui : les hommes auraient quelques peu repris la main ou le flambeau dans certains milieux et selon certains critères…Au nom de l’éducation mixte et du partage des taches unilatérales en toute équité. Seraient-ils prêts à suppléer leurs égales, voir à les remplacer ? A chacun de faire ce qui lui plait dans le meilleur des mondes et selon l’éducation reçue.
Seuls l'artisanat et les métiers d'arts demanderaient une spécificité qui serait transmise uniquement par nos ancêtres du sexe féminin ?
Il existe des métiers à tisser automatisés électroniques ou manuels comme à Prelle  où on peut tisser les velours ciselés, brochés en soie ou le brocards d’or ou argent qui reproduisent parfaitement les travaux anciens sur une machine remise au gout du jour tout ‘en gardant le savoir-faire d'antan. De merveilleux taffetas de soie de Charlieu en Rhône-Alpes  reprise en main par Eric Boel en 1997 ravissent les collectionneurs et conservateurs-rénovateurs  de musées comme le Louvre et de propriétaires de châteaux classés au patrimoine public ou privés amoureux de serge, de moire, de soie, de velours et de tissus satinés. On pourrait penser aux grands tisserands d’antan: des maitres d’œuvres donnaient le meilleur d’eux-mêmes pour que le roi soleil puisse resplendir internationalement en exposant ainsi le patrimoine français.  Tenture, en voilage, pour le : mobilier ancien et actuel, mais aussi sur le plan vestimentaire.  Les vêtements de l'époque riches en dentelles, velours, soieries, satins, taffetas et autres tissus amoureusement tissés, assemblés par des petites mains habiles sont conservés dans des housses en collections dans de grands tiroirs comme celles de Chanel, de Dior et autres grands couturiers afin de ne pas subir d'attaques et détériorations causées par de mauvaises manipulations, la lumière, le taux d’humidité trop important attirant les mites…. Ils sont rarement exposés aux yeux du public. Cependant il existe des exceptions de prêt pour le cinéma, les représentations  théâtrales à l’Odéon, à l’opéra Garnier. Mais aussi lors de grands opéras et de films à supports historiques comme la Reine Margot ou Les trois mousquetaires issus des écrits d'Alexandre Dumas : les concessionnaires ont pu faire des exceptions à la règle. Je pense aussi à Vidocq. Et si on va dans la dentelle entre les cols, les jabots, les collerettes, les plastrons, les manchettes et les bordures de vestes : les dentelières ont leur mot à dire. Elles peuvent jouer des fuseaux. Elles étaient appréciée à la belle époque au temps des « Bouffes parisiennes », monde de la goulue, du Moulin Rouge et de Toulouse Lautrec. Le cancan source de cancans avec ses froufrous superposés, ses jupons et ses guêpières dentelées. Les petites femmes de PARIS encore plébiscitées et connues du monde entier…
Les nuances et possibilités de tissages peuvent varier tant par leurs motifs que par leur tissages en France comme à l’étranger et habillent nombre de femmes coquettes et avenantes.
 Plus typique, mais tout ’aussi historique : Des madras fabriqués avec amour en outre atlantique aux Antilles, d’autres aux motifs et coloris africains des toiles de Korhogo en Côte d’Ivoire ; les tissus floraux, stylisés, géométriques de Bamako sans adjonction de produit chimique.
Et maintenant j'aborderais bien un sujet que je connais bien. 
Une pensée émue pour ma grand-mère qui toute une vie durant a servi ces dames de la haute société en leur confectionnant tailleurs, robes et boléros taillés sur mesure sur un mannequin. Du bleu ciel de ses yeux penchés sur l'étoffe : de la lumière de la chandelle à la lampe à incandescence elle a assemblé les tissus, les formes et les petits points ajustés et serrés comme il se doit pour sublimer "les coquettes" et les "élégantes" de son siècle. Merci à toi ma petite mamie de m'avoir appris à coudre de la main gauche toi qui pourtant m'a obligé à écrire de la main droite. Merci pour ces moments passés ensembles à confectionner un trousseau à ma poupée mannequin. Ken n'existait pas encore. Son enseignement patient et attentionné a payé : J’ai donc pu coudre les étiquettes sur tout le linge de mes enfants lors de leurs départs en vacances. Je me suis même essayée au patchwork sans néanmoins pouvoir récupérer mon petit morceau de tissu d'essai. Mais il faut avouer que la couture est un métier de longue haleine et de passion. Il n'y a que l'excellence qui peut rapporter les palmes et quelque peu de reconnaissance : comme d’ailleurs beaucoup d’autres métiers .

Claudine

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