samedi 20 juillet 2019

ECOLE DE FILLES - ECOLE DE GARCONS

Je suis rentrée au CP en 1955 dans une école de montagne pyrénéenne : nous étions quatre : Yvette, Edmonde, Daniel et moi-même. Les cours se déroulaient au rez-de-chaussée d'une petite maison. Yvette et moi venions d'un hameau isolé : Miramont : nous parcourions huit kilomètres par jour, Edmonde et Daniel dont la sœur plus âgée avait quitté l'école pour travailler à Toulouse comme "bonne", habitaient sur place, à Arrous. La mixité n'a jamais été un problème, nous n'y pensions pas, nous étions plus tourmentés par la fermeture prochaine de l'école et nous aidions nos parents respectifs dans leurs rudes travaux agricoles. J'étais assez peu scolarisée : à l'automne il fallait aider les parents à faire les regains, faire du bois de chauffage, rentrer les pommes de terre, etc ... en hiver la neige était trop haute et je ne pouvais me déplacer par les chemins de terre non déneigés et puis j'étais souvent malade. Je vivais une vie immédiate mais l'école était un paradis pour moi : on s'occupait de nous ; nous étions en sécurité.
Je suivis donc le CM2 au chef-lieu de canton à Oust, là aussi une seule classe avec les différents niveaux du CP au CM2 était dirigée par un maître qui avait en charge un peu plus de vingt élèves garçons et filles de l'enseignement public : aucun fronton de ces écoles ne mentionnait ECOLE DE GARCONS ou ECOLE DE FILLES. Ces localités étaient dépeuplées : des familles entières ayant émigré à New York. 
Puis je partis sous d'autres cieux et me retrouvais à Nay, dans les Pyrénées Atlantiques, dans un lycée d'Etat mixte où nous étions quarante élèves par classe : la mixité nous trouvions cela normal au quotidien ; cependant il faut reconnaître que la discrimination venait d'ailleurs : les familles aisées promettaient leur progéniture à un brillant avenir ; certaines professions également étaient plutôt réservées aux garçons ou aux filles aussi bien pour les carrières prestigieuses que modestes. L'ère du mépris, des différences matérielles, commençait, que j'essayais de combler par l'intellect pour surmonter ces obstacles.
Je me souviens de la promenade dominicale des internes du petit séminaire sous la férule des abbés en soutane : les riverains aux fenêtres se mettaient à croasser ! Quelle horreur !Je suppose qu'il n'en eût pas été de même s'ils avaient vu passer de belles demoiselles !
J'entrais enfin à l'Université ; certaines filières convenaient plus aux hommes qu'aux femmes : il y avait certainement des différences mais l'objectif était de réussir pour gagner son pain.
Enfin quand j'ai enseigné tout au long de mes quarante-deux ans de carrière j'ai toujours eu affaire à un public tant masculin que féminin. Et là j'ai senti parfois les heurts de la discrimination du harcèlement...des clans exacerbés par les réseaux sociaux, les marques de vêtements quand l'emballage prévaut ; mais, pour ne pas noircir le tableau je puis dire que souvent une bonne entente régnait grâce au respect et à la tolérance, aux vraies valeurs fondamentales.

Marie-Christine
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Je n’ai connu la mixité pendant toutes mes études qu’au jardin d’enfants où nous allions petits. C'est-à-dire de 3à 5 ans. Je me rappelle, c’est là que j’ai eu mon premier amoureux, Philippe E., il portait des grosses chaussures montantes car il avait eu la polio tout petit et marchait en boitant. Sur les photos de fêtes de fin d’année, je nous revois en tenues folkloriques tout fiers que nous étions d’être au bras l’un de l’autre. C’était un beau petit blond aux yeux bleus et quand par hasard il était puni je me faisais punir moi aussi pour le rejoindre et vice versa. Je me trouve jolie fillette sur les photos. Je disais donc qu’hormis à cette période je n’ai pas connu la mixité dans tout mon cursus scolaire. L’école primaire était une école de filles, tenue par une directrice avec des institutrices dans toutes les matières, chant et gymnastique compris. Je suppose que l’école de garçons était dirigée par un directeur, avec des enseignants de type masculin.
Tout mon secondaire s’est déroulé dans le lycée de filles Hélène Boucher, alors que les garçons allaient, suivant leur adresse, soit au lycée Arago sur la place de la Nation, soit au lycée Voltaire sur le boulevard Voltaire. J’allais déjà à pied au lycée et je faisais même un détour par l’avenue Philippe Auguste pour croiser, comme par hasard, des garçons de ces lycées, petites amourettes que la non mixité n’empêchait pas. Plus tard j’ai connu la mixité en tant que monitrice de colonie de vacances, colonies mixtes organisées par les prêtres ouvriers avant-gardistes de la paroisse du Bon Pasteur  et c’est là que j’ai connu mes premiers amoureux. Bon revenons au lycée Hélène Boucher, j’ai le souvenir en sixième ou en cinquième que les garçons les plus âgés d’Arago avaient tenté d’envahir le lycée pour emmener les filles  manifester pour défendre je ne me souviens plus quel étudiant par contre je me souviens bien du vent de panique chez les pionnes et chez les professeures. Mon premier enseignant est un prof de mathématiques que j’ai eu en seconde, il était jeune, plutôt beau garçon, pas très bon prof mais surtout son haleine trahissait son penchant pour le saucisson à l’ail. C’était particulièrement désagréable quand il se promenait dans les rangées et qu’il se penchait sur votre épaule pour expliquer quelque chose. Quant à l’école de sages-femmes il n’y avait alors que des filles. J’avais déjà mon diplôme depuis plusieurs années quand les garçons ont fait leur apparition, je dois bien reconnaitre que les premiers que j’ai rencontrés étaient des homosexuels et qu’ils s’entendaient particulièrement bien avec les femmes que nous étions. Les garçons s’appellent aussi sages-femmes. Je pense que je vous l’ai déjà raconté. Les maternités étaient alors des gynécées, de l’agent des services hospitaliers jusqu’aux sages-femmes en passant par les infirmières. Les seuls hommes étaient les obstétriciens et les brancardiers et ils n’avaient pas l’air de se plaindre de la situation. Voilà ce que je peux dire de la mixité, je ne pensais pas que le sujet m’aurait inspiré autant d’anecdotes surtout que je ne l’ai pas vraiment connu !

Fabienne
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Parler de la mixité dans les écoles des années cinquante dominées par le patriarcat dominant et baignées de culture patriotique était une hérésie. Il était de bon ton d’enseigner aux petites filles dans leurs écoles réservées au sexe féminin : la couture, la bienséance, la bonne conduite, la politesse, l’obéissance et la civilité grâce aux cours de civisme. Dans la cour : les jeux de marelles, de cordes à sauter, le hula hoop, le badminton dans les iles strictement réservé au beau sexe et bien s’occuper de sa poupée afin de savoir pouponner plus tard et de d’assurer hygiène, confort et couvert à satiété aux futurs enfants. En bref : comment devenir une parfaite femme d’intérieur et une épouse docile, câline et attentive. Les jeux de ballons ou de force étaient réservés aux garçons.
Ainsi à l’école maternelle et primaire il y a néanmoins plus d’une soixantaine d’années se retrouver dans un milieu strictement féminin apporte son quota de bavardages, de messes basses, de coups bas et de lâcheté, mais aussi d’ébauches de fraternité, d’amitiés entrecoupées de disputes et de réconciliations mais aussi de mise au coin et en quarantaine. On peut encore entendre de nos jours ces paroles lancées à la volée sur un coup de colère ou au gré des tempéraments, des caractères exacerbés : « t’es plus ma copine ! » C’était la période des amitiés furtives, pouvant devenir caduques ou persistantes et des antipathies définitives. Il y avait un mur cependant entre les deux écoles : celles des garçons au chocolat et celle des filles à la vanille: « The wall » et accès interdit aux petits coquins taquins «délurés» pour les « maitres et maitresses » se rapprochant dangereusement de l’espace les séparant de l’école des filles. Un petit nombre de petites filles se retrouvaient ainsi derrière la porte des « cabinets » situé dans le prolongement du mur. Le sifflet retentissait, impératif, se voulant répressif mais non curatif. Et doucement, les mentalités commençaient à évoluer.
Cette mixité des élèves de la génération banlieusarde des années 62, je l’ai vécu à une période collégiale. Je ne pourrais qu’en apprécier les avantages, et en admettre les inconvénients. Les garçons donnaient le change et se chargeaient de l’animation et les filles plutôt studieuses trop occupées à se rendre à l’heure au prochain cours évitaient dare-dare les croc-en-jambe des garçons intrépides promis aux heures de colle… Et dans mon coin de Beauce, entouré de champs de blé haut comme des adultes et de pommes de terre à perte de vue, le collège acceptait même les autistes et les handicapés mentaux. Et « Magui » une fillette de treize ans environ existait bien assise au premier rang en balançant son torse d’avant en arrière réglée comme un métronome. Ce que le rectorat et les lois actuelles n’admettraient en aucun cas à l’heure actuelle. Preuve de son ouverture vers l’ensemble de la société et de la mixité plurielle.
Puis au « CET »,  je me retrouvais de nouveau dans une ambiance féminine mais ô combien studieuse et quelque peu « sélective », basée sur la concurrence et le chacun pour soi. Je me souviendrai toute ma vie de la gentillesse de Mme Peinet et de la rigueur d’une autre professeure. C’était le temps où il fallait prendre soin de ses dossiers et les dactylographier, parfaire ses connaissances à la recherche d’informations supplémentaires dans les encyclopédies : le B.A.BA de mon métier futur, sauf qu’actuellement on trouve presque tout sur wikipédia !

Claudine
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La mixité, je ne l’ai connue qu’en arrivant en fac. Auparavant, les établissements étaient bien différenciés garçons ou filles.
Pourtant, j’en ai quelques souvenirs lorsque j’ai commencé ma vie professionnelle en tant que surveillante d’internat. Dans ce lycée, c’était la première année pour cette toute nouvelle mixité et les locaux n’étaient pas vraiment  été conçus à cet effet. Bien sûr pour les salles de classes, cela ne posait pas de problèmes. Il n’en était pas de même pour l’internat. La directrice soucieuse de la bonne réputation de l’établissement, nous avait longuement chapitrés et donnés de nombreuses directives : il fallait à tout prix éviter que trop de filles ne se retrouvent enceintes. Elle demandait donc une vigilance accrue et un signalement au moindre écart de comportement des Internes. Eux-mêmes avaient été dûment informés et avertis : « rien ne serait toléré ! ».
Une de mes tâches était de surveiller la permanence du soir où les élèves étudiaient. Ils avaient alors droit de se placer comme ils le souhaitaient Et ce fut un de mes premiers jours où un jeune garçon, - était-il en seconde ou en première ? – toujours est-il qu’il  s’était assis bien près de sa copine dont il était visiblement amoureux. Sans doute voulut-il, dans un geste tendre, lui caresser le bras. Il introduisit alors sa main dans la manche de sa blouse. Il n’y avait là bien sûr, rien de très méchant. Quand la cloche sonna pour quitter les lieux, tous se levèrent. Mais le garçon était pris,  la main coincée dans l’étroitesse du poignet sans bouton et les deux tourtereaux, attachés l’un à l’autre, avaient quelques difficultés à se libérer. Secoue que je te secoue, la main finit par retrouver le chemin de la sortie. Cela ne dura que quelques minutes  et les deux jeunes purent enfin se mettre en rang  sous le regard moqueur des autres élèves déjà alignés.  Le garçon était rouge comme une pivoine et la fille baissait la tête. Ils redoutaient d’’être signalés à la direction et s’attendaient à une sanction  mais surtout ils avaient peur  d’être renvoyés. En arrivant devant la porte où garçons et filles se séparaient, ils vinrent tour à tour s’excuser et me demander d’être clémente avec eux.
 La deuxième tâche qui m’incombait était de surveiller le dortoir de filles pendant la nuit. Il fallait redoubler de vigilance car de l’autre côté de la cloison, le deuxième  dortoir était devenu celui des garçons, avec un surveillant homme. Seule une porte fermée à clefs les séparait. Et alors que je faisais le tour des trois rangées de lits, mes yeux restaient rivés sur la serrure. Dans la demi-obscurité, n’allait-elle pas s’ouvrir subrepticement ? Dans un coin, je disposais d’une petite alcôve fermée par un rideau, avec un lit pour dormir. Il faudrait plutôt dire me reposer car au moindre bruit, craquement, plainte ou chuchotement, il fallait bien s’assurer que ce n’était qu’un mouvement d’élève endormie ou l’expression d’un rêve un peu plus bruyant. Mes nuits étaient brèves et entrecoupées de périodes de somnolence plus ou moins longues dont j’émergeais en sursautant. Pourtant, je n’ai  jamais eu d’apparition intempestive et tout se passa bien pour moi. Cependant, cette année-là, quelques filles durent interrompre leurs études en cours d’année. 

Marie-Thérèse 

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