samedi 7 mars 2015

L'ADIEU AU CIRQUE

Imaginez que vous êtes un artiste de cirque et que vous devez le quitter...
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Du plus loin que je m’en souvienne, j’ai toujours dansé. D’ailleurs mes parents le disaient bien.  Dès mes premiers pas, j’esquisse déjà des mouvements de danse sur le plancher de la caravane ou sur le sol rugueux où nous campons. Je remue les bras tout en me trémoussant au son de la musique, avançant et reculant en m’inclinant. Aussi très jeune, mon grand oncle m’initie à l’art de monter les poneys tandis que ma mère m’inculque les premiers rudiments de la danse.
Vers cinq ans, je commence mes premiers entrechats dans l’arène parmi les danseurs. Mon numéro ne dure que quelques minutes mais les spectateurs applaudissent à tout rompre. Je voudrais bien rester plus longtemps en scène mais, pas de caprices, je dois obéir et sortir. Pour quelques moments de bonheur qui me grisent que de longues heures d’entrainement sous le regard vigilant et sévère de mes mentors ! Souvent, c’est dur ! Parfois  j’ai envie d’aller jouer, d’autres fois, j’ai mal aux jambes ou je me sens fatiguée. Mais je dois y aller. La réalisation d’un numéro demande un long travail. Heureusement, très vite, la pensée des cris, des rires des enfants  au spectacle me stimule.
 Vers huit ans, pour la première fois je me produis comme écuyère sur un joli petit poney brun aux pattes blanches qui s’appelle  Paprika. Il tourne en rond dans l’arène et sur son dos, vêtue d’un tutu rose pâle et blanc, je virevolte, une petite ombrelle à la main. Bientôt Papyrus l’accompagne et me voilà sautant d’un poney à l’autre. Je suis heureuse et souris de bonheur à la vie qui m’attend.
Je grandis et je laisse les poneys pour des chevaux pur-sang. L’allure est plus rapide et j’évolue avec ma cousine Shana au milieu de six chevaux  qui tournent, font demi-tour ou se croisent. Vêtues de costumes rutilants et de bottes noires, nous enchainons les figures sous le regard attentif de monsieur Loyal qui surveille dans l’ombre, le moindre incident et aussi, la moindre erreur dans la chorégraphie. Et gare aux remontrances à la sortie ! Qu’importe ! L’ambiance du cirque me plait ! C’est ma vie.
Je deviens une jeune femme enjouée que les applaudissements grisent toujours davantage !
Pourtant, un jour comme tous les autres, nous répétons dans l’ombre du chapiteau. Au début, tout se passe bien quand soudain,  le temps change, le vent s’élève et l’orage se déchaîne. Avant même que je ne réalise, les chevaux affolés hennissent et cherchent la sortie. Prise dans mon élan, je manque le dos de Mandoline et m’affale lourdement sur le sol. Sous le choc, je ne sens rien mais bientôt une douleur lancinante s’insinue tout au long de ma jambe. J’essaie de me lever et je ne le peux pas. Les secours arrivent très vite et l’ambulance m’emmène à l’hôpital le plus proche.
Les examens révèlent une très mauvaise fracture de la cheville et chose plus grave encore, une fêlure de vertèbre. Je dois rester allongée et le cirque s’éloigne. Pendant quatre mois, je reste là, esseulée, avec l’espoir que tout va s’arranger. Puis  je remets le pied par terre, et mon corps si léger devient pesant. J’ai l’impression de marcher comme une petite vieille penchée en avant. Je regarde ma cheville. Elle est gonflée, énorme, difforme même.
Les médecins me rassurent. Avec la rééducation, je vais retrouver une marche plus agile. Très vite, je comprends que ce qui faisait ma vie jusqu’à ce jour, s’est évanoui en un instant d’inattention !
Mon cirque revient dans la ville et tous leurs participants m’entourent mais je sais déjà que plus jamais je ne m’offrirais en spectacle dans l’arène. Eux-mêmes l’ont bien compris. D’ailleurs, je suis déjà remplacée dans mon numéro. Je suis triste, très triste mais c’est la dure loi du cirque. Le conseil de famille se consulte et cherche en vain quel rôle m’attribuer. La fêlure de ma vertèbre me rend fragile et ma cheville me fait souffrir. Certes, je marche presque comme tout un chacun – je boite un peu - mais de là, à rester une artiste de cirque, c’est une autre histoire ! Quelques temps, je travaille à l’accueil du public à la ménagerie, je vends les billets et regarde tristement entrer tous ceux qui autrefois m’admiraient. J’aide aussi à la distribution de nourriture des animaux ou au lavage des cages mais je ne peux pas porter et je me fatigue très vite. Rapidement, je me rends compte que je deviens un poids lourd pour la famille du cirque.
Alors, le cœur brisé, je prends une grande décision. Je quitte le chapiteau et me sédentarise. Quel changement ! Certes, j’en ai pris un peu l’habitude à l’hôpital mais j’avais l’espoir ! Maintenant tout est différent ! Je loue une chambre en ville et travaille comme standardiste. Je ne sais que faire de mes week-ends et je m’ennuie des miens, de toute cette grande famille qui voyage à travers la France. Alors, je sors seule faire de grandes promenades à pied dans la campagne toute proche. Plusieurs fois au bord de la rivière, je croise un pêcheur solitaire qui, un jour, ose m’aborder. Et c’est là que pour moi, commence une toute autre vie...

Marie-Thérèse
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Me voici arrivée au crépuscule de ma vie. Je me nomme Lisa et je suis, enfin j’étais,
funambule. Je dois quitter le monde du cirque et laisser ma place à plus jeune que moi. Mais comment vivre, comment continuer à vivre hors de ce monde à qui j’appartiens depuis tant de décennies ?! Je dois laisser derrière moi justaucorps pailleté et mon fidèle câble. Ce soir j’assiste au dernier spectacle avant mon départ demain… Départ que je prépare depuis des mois. Mais est-on vraiment préparé à laisser sa vie ?
Sous le chapiteau, les numéros se succèdent et j’admire avec envie cette jeune fille qui a pris ma place, qui prend sa place tout là-haut sur le câble tendu, et je me vois au même âge, les yeux brillants d’excitation et de joie, de tract et de mille peurs mêlées lors de mon premier tour de piste.
Combien d’années et de spectacles passés et présentés ? Quand on aime on ne compte pas, et il y a longtemps que je ne compte plus…
Le spectacle fini, les artistes viennent saluer l’assistance. Ma vue est trouble, et je m’aperçois alors que des larmes ont coulé sur mes joues ridées… Comment accepter que ce corps si souvent entraîné, torturé par différents exercices ne soit plus aussi souple et ne réponde plus aussi bien qu’avant ? Que l’équilibre si important pour moi commence à me faire défaut ? Cette impression de trahison alors que dans ma tête, dans mon âme, je suis si jeune ! Pourquoi le corps ne suit-il pas la tête ?
Tous mes amis, ma famille me souhaite une bonne continuation, fêtent mon départ et les sourires cachent la tristesse de tous…
Je sais que je les reverrai lorsque le chapiteau s’installera pour quelques jours dans cette ville qui deviendra la mienne. Finie la vie de bohème dans cette caravane devenue mon foyer. Peut-être aurais-je la chance d’accompagner la troupe quelquefois.
Ma tristesse est si grande et pourtant… deux jours par semaine, je serai monitrice dans un atelier de cirque pour enfants. Je vais pouvoir transmettre ma passion, créer des vocations et vivre encore un peu la tête dans les nuages et les pieds sur le filin…

Valérie
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On s'inquiète peu de l'avenir des stars des chapiteaux...
Quand tout va bien, que les strass, la guimauve, la barbe à papa et le bling bling est là...
A tous ces acrobates, ces montreurs d'ours et de chiens savants, de clowns, on leur tire notre chapeau...
Quand petite fée clochette, de ses ailes de libellule, monte sur des chevaux en déployant son lasso.
Quand de légères et merveilleuses cavalières font de la voltige sur leurs dos...
Quand c'est Zavatta qui dans l'arène vient nous faire le grand sot,
Renversant sur Arlequin au grand dam de son Arlequine, de grands seaux d'eau...,
Puis c'est le tour des amis des animaux :
« La vie des bêtes » en ferait le gros dos...
Quand lamas, alpagas, chèvres, poneys, regimbent ou trottent allègrement...
Et de bêlements en hennissements, la moquette ou la crinière au vent
Nous font des tours de pistes, de jolis froufrous harnachés à leur panache blanc...
Comme ces caniches nains ou royaux qui possèdent le comique dans la peau.
De quoi émouvoir moult enfants et public sensible, intergénérationnel et souvent âgé...
Car il faut bien les accompagner tous ces petits blondinets
Ces petits bruns et ces petites « Mistinguettes » aux couettes dorées.
Ce ne sont que frémissements et arrêts sur image : on fait la pause.
Quand derrière les grilles et les cages apparaissent les fauves !
Quand le groom de service : leur dompteur se place face à leurs rugissements
Gorges déployées, montrant leurs gousses d'ail démesurées...
Les prendraient-ils pour des pommes d'amour ?
Ces cascadeurs aux yeux loin d'être de velours...
On appelle cela se retrouver dans l'arène !
Pas de pitié ! Pas un petit doigt qui traîne !
Et quand pour nous stresser au maximum, les trapézistes voltigent sous notre nez
S'échangeant leurs places allègrement et s'enroulant autour de la corde lisse...
Se ménageant que pour tenter le grand schelem plus haut...Quel supplice !
En bas, des fois, il y a un filet ! Le cœur ne fait qu'un saut !
Le cirque me met dans tous mes états...
Et me démantibule les abatis comme si c'était moi !
Une fraction de seconde et c'est la chute...
On n'en réchappe pas...
A moins que la piste devienne trampoline
Ou saut à l'élastique, où encore un ring ?
En un uppercut, c'est le K.O !
Alors, fantaisie, légèreté...
Tout va à l'eau...
En trois ronds de chapeaux
Petits lapins et fleurs au fusil,
Ce sont les enfants de la balle
A l'heure de la retraite,
La grande famille va à vau-l’eau.
Il s'agit de tirer le gros lot.
Et de s'extirper du magma de l'oubli.
Il s'agit de se retrouver une nouvelle vie
Qui en ferait rêver plus d'un, loin de l'ennui...

Claudine
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Dans ce cirque ambulant dont tous les acteurs étaient des enfants de la balle, j’étais l’intruse !
N’ayant aucune disposition ni formation pour devenir écuyère, voltigeuse ou acrobate ! Pourtant cette vie itinérante m’attirait. Or, Gugus venait de partir au paradis pour y amuser les angelots et on me trouva tout indiquée pour le remplacer, je fus alors accueillie à bras ouverts.
La formation est brève me dit le patron, Dans ce rôle il suffit de provoquer le fou-rire dès l’entrée en piste.
En effet, mon accoutrement ne pouvait que provoquer l’hilarité : pantalon en accordéon retenu par des bretelles trop longues, chemise à larges carreaux multicolores, chaussures deux fois trop grandes… et enfin le nez rouge !
En titubant un peu je devais crier dès mes premiers pas « Salut les copains », aller m’assoir sur une chaise bancale, tomber, me relever et essayer de m’assoir à nouveau en tournant la chaise de tous les côtés, enfin la jeter au loin, réduite en morceaux. Je criais :
-          Alors les enfants, voulez-vous travailler un peu avec moi ?
-          Oui, oui, oui…
-          Dans ce cas, vous allez crier après moi, le plus fort possible : Ouah, ouah, ouah !
Les enfants criaient le plus fort qu’ils pouvaient mais ce n’était jamais assez et je les faisais recommencer… Quel vacarme ! Et soudain, le silence provoqué par un coup de bâton que je lançais sur des boîtes métalliques entassées dans un coin. Je courais après et y enfonçais les mains et les pieds, je tombais, retombais, je donnais des coups de pied dans ces ballons improvisés et désignais quelques gamins pour me les renvoyer. La partie terminée, je sortais des cymbales de ma chemise et de mandais aux enfants de se servir de leurs mains pour les imiter et de me suivre à la file indienne en une interminable farandole. Chacun regagnait sa place à l’annonce du numéro suivant.
Tel fut mon métier pendant des années. Arrivée à l’âge de la retraite, des sanglots dans la voix je conduisis ma dernière farandole.
Adieu nez rouge, perruque rousse, pantalon en accordéon. Adieu à tous ceux à qui j’ai donné le temps d’un spectacle le sourire, à tous ceux au fin fond de la France qui n’avaient pas si souvent l’occasion de se distraire.

Christiane
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Je me souviens des années que j’ai passées dans le cirque « Megano », au cœur d’une famille qui m’avait accueillie parmi eux.
La vie était dure. Chacun avait des tâches bien déterminées : les entraînements, les répétitions, les spectacles qu’il fallait assumer malgré les peines et les maladies. Je consolais les clowns et les artistes qui, dans la vie, hors des représentations, déprimaient à cause d’histoires d’amour impossible ou terminées qui les plongeaient dans la désespérance.
J’étais dresseuse de fauves avec mon compagnon : les lions, les ours, les éléphants et les autres que j’avais dressés tout bébé avec lesquels s’étaient établies de la complicité et de l’affection.
J’étais ravie de ce travail qui me plaisait, j’aimais mes élèves acteurs des spectacles.
Un jour, je rentrais dans une cage pour répéter les numéros. J’étais jeune, mince, vêtue de paillettes avec de grandes cuissardes de cuir et mon fouet à la main.
Ce jour-là, ma vie bascula. Alors que je caressais son compagnon, la jeune panthère Dora qui était prête à effectuer son premier numéro en public, sauta sur moi, m’agressant sauvagement. Les secours me transportèrent à l’hôpital. J’avais l’épaule arrachée, une jambe et une hanche blessées, me laissant invalide pour le reste de ma vie. Après de longs mois de soins, de convalescence et de rééducation, je suis revenue travailler au cirque pour vendre les billets. En boitant, je rendais des petits services. Je donnais à manger à certains animaux qui m’avaient tant manqué. Quand je passais devant Dora, la magnifique féline aux yeux de jade, elle me toisait. Je me demandais pourquoi je ne l’avais pas tuée avec mon fusil ? Alors que ses compagnons venaient se faire caresser et me lécher à travers les barreaux, elle levait la patte, toutes griffes dehors, comme pour me menacer : ce qui me rappelait les atroces instants qu’elle m’avait imposés. Je repartais voir les éléphants, la rage au cœur.
Le temps passa. Plusieurs fauves : des ours, des singes, des éléphants étaient partis ailleurs ne pouvant plus assumer leurs numéros. Dora avait vieilli. Elle avait des petits qui partageaient ses numéros. J’allais bientôt partir pour une vie plus sédentaire, moins pénible. J’en étais attristée.
Un matin, en passant devant la cage pour saluer les fauves, je vis Dora allongée, les yeux mi-clos. On m’apprit qu’elle avait une maladie incurable. On la soignait mais il faudrait l’opérer. Je revins chaque jour caresser ses compagnons. Un jour, elle s’avança vers moi. Je retirai vite ma main. Elle se frotta contre les barreaux, humblement, réclamant des caresses. Je répondis à sa demande. C’était comme un acte de contrition ! Une demande de pardon. Le regard implorant, elle me lécha les mains. C’était un tel élan de tendresse, d’amour et de repentir que je répondis à ces effusions. J’étais partagée entre ma rancœur contre celle qui avait anéanti ma vie puis j’éprouvais comme un soulagement de pouvoir pardonner.
Ces effusions continuèrent quelques mois. Un matin de juin, très affaiblie, elle resta allongée contre les barreaux. Son regard était triste et implorant, elle m’attendait. Je la caressai longuement. Ses beaux yeux de jade se fermèrent et s’ouvrirent quelques secondes. Ce fut son dernier souffle !
Voici mon histoire de dompteuse qui perdit sa jeunesse et son métier à cause de Dora, la tigresse aux yeux verts !

Mireille





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