dimanche 12 juillet 2015

40° sous toutes les coutures


On nous annonce 40° C. Qu’est-ce que cela évoque pour moi ? Ouvrons la boîte aux souvenirs !
J’ai six ou sept ans et il fait si chaud que mes parents m’ont emmenée au jardin à « Belle Feuille ». Ils m’ont installée à l’ombre. Mon père fauche la luzerne et ma mère cueille des reines-claudes. Il doit être très tard, ils chargent la voiture à la  nuit tombante. C’est une charrette à bras, fabriquée à la demande par le menuisier du pays ; elle est munie de ranchers comme les tombereaux de l’époque, les roues sont en bois cerclées de fer. Le chargement est très haut avec le fourrage, les cageots de prunes dans un coin. Comme je suis fatiguée, on me hisse sur le dessus de la voiture. Je suis couchée sur le foin fraîchement coupé. Une odeur enivrante s’en dégage ; au-dessus de moi, le ciel d’été plein d’étoiles. Je suis bercée par le ronronnement régulier des roues, le bruit en est un peu amorti à cause du goudron de la route amolli par la surchauffe de la journée.
Dans la torpeur d’un soir d’été, je suis rassurée par la présence de mes parents : papa dans les brancards tire la carriole et maman la pousse au besoin. Je me laisse emporter au pays des rêves. J’ai bien peur que si le paradis existe sur terre, ce fût là.

Josiane
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Moite et dégoulinante, que m’arrive-t-il aujourd’hui ? Cela m’est si peu habituel ? Suis-je souffrante ? Ai-je la fièvre mais non, voyons, sur l’origine de mon mal-être, un rapide regard au thermomètre accroché sur le mur du balcon me renseigne « 40° C » ! Le soleil a dû taper dessus, ce n’est pas possible ! Pourtant, dans le coin, il est plutôt à l’ombre !  Un nouveau regard pour vérifier. Peut-être me suis-je trompée ? Mais non, il indique bien « 40° C ». Pas étonnant si je ne me sens pas dans mon état normal ! C’est une température tellement inhabituelle !
Je referme les volets et me retrouve dans la pénombre de l’intérieur. La façade de briques de l’immeuble surchauffée, a emmagasiné la chaleur. Sans le ventilateur, la pièce, fenêtres fermées, serait un four ! Mais heureusement, il brasse de l’air un peu plus frais. Je m’interroge : « 40° C » ! Eprouve-t-on la même sensation selon l’endroit où l’on se trouve ? Certaines personnes  apprécient la forte chaleur surtout si elles sont en vacances sur les bords de mer ou pas trop loin de la montagne. D’autres au contraire, redoutent la canicule qui les épuise, les privant de toutes activités. Elle confine les plus fragiles dans une atmosphère climatisée.
Que ressent-on par «40°», dans l’air étouffant du métro à l’heure de pointe, collés les uns contre les autres, suant, soufflant et tentant mais en vain de se ventiler avec le journal, un livre voire un éventail ? Et comment supporte-ton cette température lorsque l’on marche, dehors rapidement ou lentement, sous un soleil qui brille de tous ses feux ?  Peut-on comparer un «40°» à la ville où les murs, de pierres ou plus souvent de ciment gris, se nourrissent de ses rayons avec celui de la campagne, où la frondaison des arbres les absorbe, renvoyant un peu de fraicheur ? 
Comme dans un film, je me revois par cet été particulièrement chaud, au bord de la mer où il était impossible d’aller à la plage avant la marée montante car le sable brûlait trop. Je me rappelle ces jours où l’on profitait de cette haute température pour faire les grandes lessives. Les draps de coton blanc épais tendus sur les fils séchaient en un après-midi. Les pins craquants de mille bruits, laissaient tomber sur le sol bruissant de leurs aiguilles trop sèches, leurs pommes éclatées.
Je me rappelle cette année exceptionnelle où le mercure monta si haut ! Nous avions prévu une randonnée de plusieurs jours. Nous venions de quitter Le Vigan et le soleil était au zénith. Godillots aux pieds et sacs sur le dos, nous haletions en grimpant une des crêtes du cirque de Navacelles avant de redescendre vers la rivière de la Vis qui nous rafraichirait. Faisait-il «40°» ? Je ne sais ! Nous n’avions pas de thermomètre pour nous le dire mais nous avons sué sang et eau et la chaleur était si accablante que nous n’en aurions point douté.
Je me souviens de l’arrivée à l’aéroport. Le pilote venait d’annoncer : «Pointe à Pitre - 40° à l’extérieur». L’avion climatisé se posait. L’hôtesse ouvrit la porte. Sur le seuil et avant même de descendre l’escalier, une bouffée de chaleur moite me saisit à travers les jambes comme si je venais de monter sur un ballon gonflable et que j’allais m’envoler !
Je me remémore aussi lorsque dans la forêt, l’air déjà brûlant depuis plusieurs heures devenait suffocant presque irrespirable dépassant sans aucun doute les «40°». Pendant plusieurs minutes, tout était silencieux, pas un seul chant d’oiseaux ou de bruissement d’insectes et soudain le déluge tropical se déchainait apportant un souffle d’air chaud mais qui, sous l’effet du bruit de la pluie, redonnait force et énergie.
Pour le moment, un peu amorphe, je n’en ai guère dans cet appartement urbain, même si les « 40° » ne sont qu’à l’extérieur.

Marie-Thérèse
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Lors de ses permissions, le caporal Perpignani ne tarit pas sur les conditions qu’il a pu rencontrer dans le désert de Lybie où règnent des températures de l’ordre de 40°.
Féru de mécanique et doté d’une excellente vue, il s’est trouvé affecté à l’intendance et placé au volant d’un camion. Il prétend avoir dans l’exercice de sa fonction discerner à quoi pourrait ressembler l’enfer : « Imaginez-vous roulant en convoi à faible allure constante, pendant des heures et des heures, dans le désert surchauffé et truffé de mines, avec pour seul panorama, à travers un nuage de poussière, l’arrière du camion qui précède. »
Heureusement en fin de parcours, s’offrent parfois des moments paradisiaques. En effet, on ne se trouve jamais bien loin du littoral méditerranéen où l’on peut s’adonner à la baignade.
Par ailleurs, on n’échappe pas à la hantise de l’infiltration d’un scorpion dans son sac de couchage, voire dans ses chaussures.
Si 40 est une température rébarbative et parfois même létale, s’agissant de l’atmosphère ambiante, c’est tout le contraire lorsqu’il s’agit de la distribution d’eau au robinet, facteur appréciable de confort. Ainsi donc, à l’image de Janus, 40° présente deux faces opposées selon qu’il s’agit de l’air ou de l’eau, respectivement détestable et attrayante.
Enfin, au cas où la température corporelle atteint ou dépasse les 40°, ne pas hésiter à appeler le samu.

Emmanuel
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40° ... Depuis hier, c'est la température que nous avons...
40° ... c'est intenable, irrespirable. La nuit n'apporte pas de répits, et elle se teinte de rêves fous...
40° ... Mon rêve m’emporte vers un voyage merveilleux, loin de cette chaleur étouffante.
J'arrive sur cette ligne imaginaire que l'on appelle latitude... 40° Nord.
Grâce à elle, je parcours de merveilleux paysages, commençant par ceux du Portugal, de l'Espagne et le bleu inimitable de notre Méditerranée en passant par l'île de Minorque, puis celle de la Sardaigne pour arriver au sud de Naples et traverser la Botte de l'Italie.
Je franchis l'Adriatique, et me voilà en Albanie, en Grèce et en Turquie. L'Arménie et l'Azerbaïdjan se dévoile sous un soleil levant.
La mer Caspienne est fantastique sous les rayons nouveaux et je vois se profiler l'Asie centrale et tous les pays des Balkans que sont le Turkménistan, L'Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Kirghizistan. Noms qui évoquent tant de contrées lointaines et de pays mystérieux.
Et voilà que maintenant la Chine s'ouvre devant moi. De loin j'aperçois Pékin, cette grande métropole asiatique, capitale de cet immense état où traditions et modernité se côtoient. La traversée de la mer de Bohai me fais recouper la Chine puis la Corée du Nord, pays si fermé!
La mer du Japon m' invite à continuer le voyage pour voir défiler le nord de l'île de Honshu, ou île libellule, principale île du Japon où se situe le Mont Fuji, Tokyo, qui représente 60% du territoire et regroupe 80% de la population japonaise !
J'entame désormais la grande traversée du Pacifique, océan mythique !
L'entrée aux USA passe par le Nord de la Californie, région volcanique, possédant de grandes forêts de séquoias ...
Et, continuant mon voyage, je survole le Nevada, l'Utah, le Colorado, et son célèbre canyon, le Nebraska, le Kansas, le Missouri, l'Illinois, l'Indiana, l'Ohio, la Virginie occidentale, et sur la côte Est, la Pennsylvanie et le New-Jersey. Que de paysages et de beautés découverts !
Ma traversée de l'Atlantique est bien plus calme que pour les marins de la route du Rhum, je croise quelques baleines, une multitude de poissons dont des maquereaux, des bars, des chinchards, des daurades, éperlans, flétans que nous croisons habituellement chez nos poissonniers ... Une dizaine de dauphins m'accompagnent pour la fin de mon voyage...
Oups ! Le réveil me tire de mon sommeil, je suis trempée mais ce n'est pas l'eau salée de l'océan qui en est responsable. Seulement la transpiration due à ces 40° à l'ombre ... J'aimerai rester dans mon songe et repenser à ces 40° Nord qui sont bien plus splendides que ces 40° Celsius, mais voilà... la réalité est beaucoup plus étouffante !

Valérie
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Jamais sans mon climatiseur, dit Lulu, hurluberlu.

Certainement pas sans mon ventilateur, rétorque Germain, sûr et certain.

La « clim » sinon rien, reprend Lulu, chez moi rien n’est superflu !
Et avant, quand il faisait chaud, les pieds dans l’eau… c’était bien ! reprend Germain.
Et dans ton caleçon à rayures comme les frères Jacques, les doigts de pied en éventail dans tes palmes, se souvient Lucien, dit Lulu.
Ah, mais tu en remues des souvenirs, mon Lulu, et comme nous courrions dans les vagues pendant que ces dames avec leurs jupons et leurs tenues de plage se tenaient le long du rivage…
Ah, mon sacré Germain, c’était le bon temps, celui du cinéma muet et du voyage de M. Hulot, et il y avait encore de beaux coquillages, tu te souviens ?
Mais oui, mon ami, entre les praires, les bigorneaux, les couteaux et les coquilles Saint-Jacques, nous avions de quoi faire, mais je crois qu’on s’égare… C’est si loin !
Quand reviendra, le temps des cerises… entonne Germain. Tu sais, les modes ne se démodent jamais, il y a toujours un va-et-vient.
Tu l’as dit, regarde au Trocadéro, comme chacun se précipite dès qu’on annonce la canicule…
Eh, oui ! Allez, tous à la douche ! C’est moins bien que les grandes eaux de Versailles. Et tu crois qu’ils sont tous en maillot de bain ? Insiste lourdement Germain.
Mais non, bien sûr… Quoique sur les quais de la Seine, on en voit des vertes et des pas mûres, reprend Lulu avec un petit sourire aux lèvres.
Allez, tais-toi, mon Lulu ! Tu vas nous attirer des ennuis à nous rebattre les oreilles de tes âneries ! Ah, Ah ! Tu me fais trop rire ! Je comprends à quoi servent les écrans solaires, s’esclaffe Germain.
Et ça sert à quoi ? S’enquière Lulu.
Ben à ne pas devenir écrevisse de la tête au pied pardi, en pleine ville, ça fait désordre !
Mais il existe des parasols et locations de matelas, de chaises longues qui font illusion, sans cabines de plage, et l’on s’imagine que l’on vit à Deauville avec son casino, à Trouville et ses embruns, ses résidences historiques, sa petite bourgade de bord de mer rouleuse de sable doré, ou encore Étretat, ses coups de vent, ses falaises et ses galets. Honfleur et ses petits cafés où l’on trinque au café-calvados. Ou encore Berck ou Royan, ou Nice et sa promenade des Anglais, et Cannes qui déroule son tapis rouge…
Tu nous fais voyager, mon Germain. En une minute tu nous fais passer de la Normandie à la Côte-d’Azur, en passant par la Manche, l’Atlantique, la mer Méditerranée pour revenir sur les quais de la Seine où Paris plage appâte petits et grands qui sirotent leurs cocas bien frappés sous leurs canotiers, leurs casquettes et leurs bérets.
Eh oui, mon Lulu ! « Sous le soleil de Paris », on voit la Seine qui luit et dans ses multiples facettes chaque parisien cherche le jeu, le plaisir et l’envie en s’offrant une bonne glace chez Bertillon ou une Häagen Dasz, tu sais avec les amandes dorées et effilées et les noix de cajou… hummm ! Une bonne limonade maison sur la péniche ou sur les bateaux-mouches pris Pont de l’Alma ou Alexandre III. Voudrais-tu te rendre sous la tonnelle des impressionnistes à Barbizon afin d’admirer les iris jaunes canari et les fleurs de lotus roses, en sirotant une tasse de thé autour de l’étang aux reflets d’argent ? Ou préférerais-tu boire du Sprite ou une bière bien fraîche ? Tiens, un demi, ça te dis sur le zinc de Bercy ?
Et si on en prenait une justement de mousse, mon Germain ?
Alors A la tienne et si on se faisait une partie de pétanque à la Poterne ?
Mais que c’est une bonne idée, ça ! Sous les tilleuls, à l’ombre comme les gens du Midi. Dans Pagnol, tu sais, la petite place du village. On sera bien, on va voir les copains, histoire de taper aussi la belotte.
Alors, tu tires ou tu pointes ?
Envoie le cochonnet et tu verras bien !
Après, on se fait une petite virée du côté de Nogent ?
Je te suivrais au bout du monde, quoique j’ai une petite faim…
Mais justement, on va manger des moules frites en terrasse au Petit Quinquin !
T’as une heure pour rentrer ?
Mais non ! Tu sais bien que je n’ai de comptes à rendre à personne.
Je m’en vais prévenir ma Germaine, qu’elle ne s’inquiète pas.
Une petite virée entre vieux copains, elle comprendra !?
C’est qu’elle a du mal à supporter les grosses chaleurs, son pauvre cœur en prend un coup et en plus elle est allergique au soleil !
Ça existe, ça ? Elle ne pourrait pas vivre à Toulon ou à Marseille.
Eh, oui ! Elle doit sortir avec sa capeline, couverte de haut en bas. Histoire de montrer cou et patte blanche.
Eh bien, je la plains vraiment ta dame car, en ce moment, elle doit se calfeutrer, les volets fermés et ne pas mettre le nez dehors si elle ne veut pas devenir rouge comme un coquelicot nouveau ou une fleur de camélia. Allez, tu lui enverras toute mon amitié.
Je te vois arriver avec tes gros sabots ! Tu ne te moquerais pas un peu ?
Moi ? Jamais !

Claudine
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Encore s’il s’agissait d’un programme de lavage à basse température à 40 degrés, pour synthétique, seul le linge en ferait les frais et les canalisations n’émettraient pas de gargouillis réprobateurs. Fixer le hublot du lave-linge, en suçotant un canard arrosé de whisky à 40°, on en a vite fait le tour.
La touffeur générée par les efforts conjugués du simoun et du sirocco, alanguissent corps et esprit, vrillant les nerfs à vif.
Le trottoir de l’immeuble sur toute sa longueur, est trempé intempestivement par un jet d’eau narquois, sifflant comme un cobra, prévenant les passants de traverser illico presto. Le couloir est inondé de larges flaques : il faut se déchausser sur-le-champ, pour ne pas gâter ses espadrilles, dans l’eau fortement javellisé, irritant de surcroit les muqueuses et réveillant les allergies… Le flot se fraie un chemin sous l’appartement du rez-de-chaussée et descendait en clapotant dans l’escalier de la cave communautaire. Heureux celui qui peut progresser à grandes enjambées, sinon la mobilité articulaire réduite, rétrécit comme une peau de chagrin : il faut à tout prix éviter les glissades fatales, les fractures, l’hôpital. Pour se ressaisir, il faut d’abord se rendre au jardin, si la voie est libre, s’assoir quelques instants sous le parasol, protection dérisoire contre la fournaise pour mobilier de jardin et le barbecue déserté. Quel ne fut pas l’accablement de madame d’Organdi de constater que la pelouse-paillasson était jonchée de bouteilles, papiers gras et déchets organiques malodorants, point d’ancrage de nuées de mouches vertes et bleues (on en voit de toutes les couleurs), réputées pour être l’une des plaies de l’Égypte antique ! Des couvertures et de gros coussins en simili cuir reposaient à même le sol, vestiges de la chambre nocturne, improvisée en plein air, sous le champ des étoiles.
Madame d’Organdi tout en regardant où elle posait les pieds, ragea table, chaises et fauteuils, dans l’alignement des trois thuyas, puis laissa le champ de ruines en l’état.
C’était sans compter sur madame Latute, qui, à la vitesse de l’éclair zébrant le ciel, chargé de lourdes menaces, surgit, hurlant, toutes sirènes en alerte maximum.
-          Madame d’Organdi, vous avez deux minutes, j’ai deux mots à vous dire ! Doc vous ne voulez pas que nous nous servions de vos affaires minables, madame d’Organdi vous êtes méchante ! Tout le monde dit que vous êtes très méchante et très sale : regardez ce que vous faites au jardin pendant la nuit !
Madame d’Organdi, tant bien que mal, titubant sous ce déluge excrémentiel, anéantie, regagna tant bien que mal ses pénates, dieux tutélaires du foyer, se servit quelques verres d’eau rafraîchissante et purifiante, enfonça ses boules Quiès, les bien nommées, dans ses conduits auditifs, s’allongea sur le lit et se concentra dans la lecture d’un livre paradisiaque, savoureux, prometteur d’aventures de rêve.
Non, décidément, la canicule (étymologiquement : la dent du chien), sise dans la constellation du chien, sévissant habituellement à la mi-août, a pris de l’avance cette année : son mordant et sa surchauffe survoltent madame Latute, dont la porte largement ouverte en permanence, autant pour se rafraîchir que pour guetter les allées et venues, faits et gestes des résidents, élargit son champ d’action.
Elle continuera ainsi à tisser sa toile, madame d’Organdi évitera de se métamorphoser en moucheron prisonnier des rets, fussent-ils soyeux !
Ne nous mettons pas la rate au court-bouillon, ne nous échauffons pas la bile ! Vivement l’hiver !

Marie-Christine
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Histoire du whisky Irlandais
Le cercueil avait l’air bien scellé, clous profondément enfoncés, 6 pieds sous terre depuis des lustres, mais voilà que le fantôme s’est soudain mis à gigoter. L’irish spirit n’était donc pas mort. Tiré par le marché américain, plébiscité par les jeunes, porté par des bouteilles qui progressent en qualité plus vite qu’un Dublinois ne descend sa Guinness, le whisky irlandais connaît l’une des plus belles résurrections depuis 2.000 ans.
C’est aujourd’hui le segment du whisky qui progresse le plus vite, avec des taux de croissance annuels à 2 voire 3 chiffres. Dix fois moins que le scotch, certes, mais l’Irlande revient de loin. De profond même, disait le directeur d'une distillerie fondée par ses ancêtres «On ne pouvait pas tomber plus bas, même en creusant avec une pelle».
Dieu a inventé le whisky pour s’assurer que les Irlandais ne domineraient jamais le monde. C’est du moins ce que prétend la sagesse populaire qui a laissé son empreinte sur les portes de toilettes au fond des pubs. Dieu ?
Plutôt ses sbires. Ce sont en effet les moines qui ont escamoté de Mésopotamie les alambics et le secret de la distillation, au VIe siècle, avant de l’introduire en Irlande en s’attelant à une tâche qui méritait un sacré carburant, l’évangélisation des Celtes.
On distillait alors les plantes et les fleurs pour fabriquer remèdes et parfums. Mais les bons frères allaient vite trouver un autre usage aux alambics en y flanquant du moût de céréales. L’eau de vie était née,  l’ancêtre du whisky.
Une eau bénite qui s’affranchira des monastères en quelques siècles, et qui, aujourd’hui encore, remplace le sirop dans les pharmacopées en vertu du principe que «ce que le whisky ne soigne pas est incurable».
Dans les années 1850, quand la Couronne décide de taxer l’orge maltée, base du whisky,  les distillateurs substituent aussitôt à leur recette une bonne moitié d’orge non maltée pour échapper à l’impôt. Le pure pot still  est né.  Et ils distillent 3 fois, une de plus qu’en Écosse. Doux, gouleyant, épicé et juteux comme un panier de fruits bien mûrs, le pure pot still rayonne jusqu’au début du XXe siècle comme ce soleil qui,  n’étaient les nuages et la pluie, brillerait sans repos sur l’île verte.
«C’est quoi, le whisky irlandais » ? Pas facile de répondre à cette existentielle question... Historiquement, c’est du pure pot still… mais pas toujours. Techniquement, il est distillé 3 fois… mais pas toujours. Il n’est pas tourbé… mais pas toujours.  En Irlande, les règles ne sont qu’une suite d’exceptions, alors allez vous y retrouver ! Il est fruité, doux, facile à boire. Oui, ce serait cela la meilleure définition du whisky, né et élevé à la triple distillation. Le distiller 3 fois confère à ce whisky une pureté, une fraîcheur, une qualité uniques. Les Écossais ont toujours été trop radins pour procéder à cette distillation supplémentaire ; eux, bien sûr, prétendent qu’elle sert à masquer la fait que les Irlandais ratent toujours les deux premières. Comme on le voit, c’est un débat hautement technique !
Dès la fin du XVIIIe siècle, l’Irlande compte presque autant de distillateurs dans les granges que de moutons dans les prés : plus de 2.000,  pour la plupart clandestins (les impôts, toujours !). Mais le commerce légal se développe rapidement.
Fondée en 1757 au cœur de l’Irlande, Kilbeggan est sans doute l’une des plus anciennes distilleries au monde. Fermée en 1957, elle rouvre trente ans plus tard à la faveur d'un rachat.
Les vieux bâtiments, la roue à eau sur la rivière, les cuves, les meules d’époques et les alambics biscornus font la joie des touristes qui se penchent sur l’histoire du whisky d’un temps, que les moins de 100 ans ne peuvent pas connaître.
On raconte comment, des années après la fermeture, un écoulement secret installé en douce sous les réceptacles d’alcool fut découvert. On y dérivait sans rien dire le distillat pour le prélever à loisir. Le fond des cuves était quant à lui vidé dans la rivière, pour le plus grand plaisir des poissons et des pêcheurs qui sortaient une à une les truites bien saoules.
A défaut des Irlandais eux-mêmes, leur whisky domine le monde jusqu’à la fin du XIXe siècle, y compris en Écosse. Et puis, une poisse qui n’était pas que divine raya l’«irish» de la carte.
Les insurrections puis la guerre d’indépendance de 1919-1922, suivies d’une guerre civile larvée qui gangrène jusqu’au second conflit mondial, portent un coup d’arrêt à la production. Aux États-Unis, où le whisky Irlandais  est le plus consommé, la Prohibition assène le coup de grâce. Et les Britanniques  frappent d’embargo les produits irlandais dans tout l’Empire.
N’en jetez plus, le verre est vide. L 'Irlande devient cette terre sèche et désolée où errent les fantômes des distilleries fermées.
Pour tenter de sauver ce qui peut l’être, les trois distilleries qui ont survécu au sud  s’unissent en 1966 pour former Irish Distillers et construire en 1975 une nouvelle distillerie à Midleton, dans le comté de Cork. Voilà pourquoi 80% du whisky irlandais sortent de ses alambics, c’est de là que soufflera le renouveau.
Particulièrement fort, ce whisky peut être produit à 40°. Mais il peut aussi facilement atteindre  les 80° !
Mais pour un connaisseur, 40°... ce n'est pas un  bon whisky. Un bon whisky à 40°, ça n'existe pas !

Paulette

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