samedi 9 décembre 2017

UN AIR DE FAMILLE

Elle était dans le grenier à genoux devant une grosse malle grise entrain de découvrir les unes après les autres des choses du passé. Au milieu d’un paquet de photos en noir et blanc aux bords découpées en dents de scie qu’elle regardait rapidement, tout à coup elle s’arrêta net. On dirait moi pensa-t-elle, en plus âgée mais qu’elle ressemblance ! Les cheveux bruns et longs encadraient un fin visage, le nez bien droit aux narines qu’on devinait palpitantes, les yeux noirs et profonds sous une frange de cils épais qui semblaient la fixer, la bouche rieuse aux lèvres charnues. Elle retourna la photo mais il n’y avait ni nom, ni date, ni lieu. Elle descendit quatre à quatre les escaliers pour retrouver sa grand-mère qui était dans la cuisine et l’interroger. Qui est-ce ? Demanda-t-elle. Sa grand-mère finit de s’essuyer les mains à son tablier et pris délicatement la photo, pendant qu’elle la regardait le rose lui monta aux joues. C’était ma sœur lui dit elle, elle est partie beaucoup trop tôt, comme tu lui ressembles. Pourquoi ne m’en avoir jamais parlé ? Dans l’espoir d’oublier la douleur mais maintenant toi qui lui ressemble plus qu’avec un air de famille. Mais je ni suis pour rien moi ! Non ma biche et justement ma douleur s’atténue parce tu lui ressembles c’est comme si elle revenait auprès de moi.

Fabienne
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Plongées dans les vieux albums de photos, nous regardons les images du temps passé où jeunes dames en capeline et en longues robes froufroutantes posaient à côté de messieurs au costume foncé, cravate, chemise blanche et chapeau haut de forme. Beaucoup de ces personnages nous étaient inconnus mais pour la plupart appartenaient à la branche paternelle de la famille.
 Soudain, notre regard s’arrêta sur la photo d’un jeune soldat : son air sérieux sous l’uniforme, le port  droit,  ses yeux clairs et ce  menton en galoche, marque indélébile de la famille.
«- Mais on dirait Guy, s’écrie Monique interloquée ! C’est son portrait craché mis à part l’uniforme. C’est sûrement un de nos ancêtres mais lequel ? La ressemblance est vraiment trop forte. 
-Tu as raison, acquiesce Brigitte. C’est tout à fait son visage un peu allongé et ce regard direct et franc. Retourne la photo. Il y a peut-être une inscription au dos.
- Oui, reprend Nicole.  Hyppolite, dragon, Août 1870.
- Hyppolite ?  Ce prénom vous dit quelque chose, interroge Monique.
- Mais oui, c’est ce jeune mort à la guerre, l’ainé des frères de l’oncle Frank, reprend Nicole. Il le disait facétieux et intrépide mais généreux et très patriote.
- En tout cas, Guy lui ressemble comme deux gouttes d’eau, s’exclame Monique, encore sous le coup de sa découverte.  Malgré le casque à plumeau, on devine son grand front et l’on retrouve à l’identique le dessin des arcades sourcilières, et les grands yeux clairs.
- Oui, mais observe, Brigitte, sa bouche est quelque peu  différente. Ses lèvres sont légèrement pincées tandis que Guy, à force de faire la moue, a des lèvres plus fortes qui avancent davantage.  Ce devait être un brave garçon !
- Que veux-tu dire, Guy n’est pas un brave garçon, rétorque Monique.
-Mais si, mais si, ne te fâche pas. Hyppolite est mort bien jeune mais Guy est parmi nous et nous l’apprécions tous, tu le sais bien. Et puis, s’il fut boudeur, il ne l’est plus et il est aussi généreux.
- Et entreprenant et débrouillard, ajoute Nicole et parfois… !!! très direct aussi ! renchérit-elle mi- amusée. Peut-être tient-il cela de son grand- oncle ! Qui sait ?
- En tout cas, ce qui se perpétue à coup sûr dans la famille, c’est notre menton à galoche, une vraie marque de fabrique,  fait remarquer Brigitte. Nous en avons tous et toutes hérité, même Arthur, le petit dernier.

 Marie-Thérèse
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Combien de fois ai-je entendu constater de manière péremptoire : « C’est bien l’air de famille ». Moi-même, je n’échappais pas à cette pratique, même si, prenant de l’âge, je devins plus prudente en la matière… c’est vrai que parfois, la ressemblance surtout physique est frappante. C’est le cas entre frères et sœurs, ou avec l’un des parents proches ou plus lointains en vertu des mystères de la génétique. Si « un air de famille » est une notion globale, elle s’impose plus ou moins à chacun d’entre nous, à travers la perception de multiples traits : silhouette de l’individu observé, comportements, timbre de voix, expressions, regard… De plus, notre constat n’a rien de figé. Tout est vivant et l’individu considéré tout comme l’observateur sont en perpétuelle recomposition.
La famille est la première cellule sociale, le premier lieu d’échanges. Viendront ensuite de multiples contacts, situations – à l’école, au travail, dans les loisirs ou l’intimité – qui façonneront, par contagion, à l’infini. L’air de famille repose en réalité sur une grande complexité chez les humains. Qu’en est-il chez les animaux domestiques qui les accompagnent ? Nous arrivons parfois à percevoir chez eux des « airs de famille ». Cela amuse toujours de voir comment les chiens d’aveugle ou les toutous des mamies savent bien aligner leurs pas sur ceux de leur maître.
Les cas d’adoption d’éléments étrangers par une famille biologique peuvent troubler l’observateur et sera à l’origine de réflexion cocasses « C’est bien le fils de sa maman ! ». La greffe prend plus ou moins bien mais elle est vivante et c’est cela qui compte. Que dire des airs de famille dans les familles actuelles recomposées ? L’air de famille va sûrement muter, s’enrichir de multiples aptitudes et peut-être devenir plus ressenti que visible. Avons-nous encore besoin d’un marquage par le sang qui peut aussi enfermer l’individu. Aime-t-on toujours s’entendre rappeler ce fameux air de famille ?
Oui, à condition de ne pas s’y laisser enfermer, on peut trouver dans l’air de famille beaucoup de chaleur, de solidarité et d’amour comme dans un nid douillet.

Françoise
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Amusant ! J’aurais presque envie de dire : « Qui se ressemble, s’assemble » Comme les vrais et non les faux amis. Avis aux sœurs ennemies. Des fois, les vraies amies nous ressemblent comme deux gouttes d’eau. La suite de cette ou de ces Histoires pourraient le confirmer pour les joyeux lurons et luronnes concernées : ils ou elles peuvent avoir chacune leurs histoires à raconter.
Il suffit juste de bien ajuster sa lorgnette et de viser dans la bonne direction.
Autant de différences observées dans des milieux familiaux sans extrapoler. Sur le plan géographique et ethnique où tout devrait peut-être les séparer. Je pensais à deux jumelles monozygotes mises en adoption. L’une retrouve l’autre en observant des caractéristiques physiques similaires sur une photo diffusée à la télévision. Elle ose la contacter lors d’un de ses tours de chant. Elles comparent leur livret de naissance et leur date de naissance. Elles sont nées le même jour sous x d’une femme dont elles connaissent le prénom, à la même heure, à la même maternité dans le même pays. Les faits sont prouvés et les liens commencent à se tisser. Elles vivent sur deux continents différents. Elles sont devenues inséparables depuis.
A chacun sa famille d’adoption et de filiation.
Il y aurait même « des pièces rapportées » n’ayant aucun lien de parenté qui malencontreusement ou étonnamment ressembleraient à leur famille d’adoption. Pur hasard de la nature ? Autre cas de figure, une femme en désir de grossesse entreprend une recherche très pointue auprès d’un donneur de sperme présentant des caractéristiques physiques et psychologiques très proches de la future génitrice et de la famille ainsi comblée. Il y a aussi des dons d’ovules, il ne faut pas l’oublier et j’ose espérer que ceux-ci remplissent toutes les espérances du couple déjà formé ou ainsi rapprochés par gamètes et paillettes décongelées. A la naissance : l’entourage plus ou moins proche pourra certainement ou peut-être s’extasier sur la ressemblance du nouveau-né qui posséderait les oreilles de la grand-mère ou le nez de la maman. Alors bonjour au pays de FIV et des grossesses assistées.
Qui ne connaît pas suffisamment le dilemme et la difficulté d’évoluer dans une famille recomposée aux relations alambiquées…Et le fait de pouvoir trouver ou retrouver sa place pose un réel problème d’identité.
Sur le plan physique strictement, il y aurait des similitudes, des ressemblances dans la forme et la couleur des yeux par exemple, mais le choc des caractères et les mentalités totalement différentes peuvent s’affronter, s’entrechoquer, s’opposer comme dans une famille « non recomposée ». De plus en plus les familles tentent à se fracturer, à se diviser, à se reconstituer sous une forme tentaculaire et des fois souvent démesurée. Et le risque de voir les parents ou le père entamer une procédure de divorce, voire encore à s’évaporer dans la nature plane au dessus de la tête de beaucoup d’enfants que l’on aurait oubliés dans l’histoire amoureuse des grands. Autant de risque de placement, de déchéance et d’errance. Il en faut de la suite dans les idées, une force de caractère, de la présence d’esprit, de la persévérance et un beau vernis pour sortir la tête du bourbier. Le problème et le dilemme viendra à se poser lors du décès de ce dernier : le « chef de famille » qui est souvent malheureusement géniteur seulement… à l’ouverture de son testament et lors de la répartition de ses biens ou de ses dettes. Des fois, il y a des cadeaux empoisonnés et dans les familles reconstituées comme entre les membres d’une même famille, on peut tout aussi bien s’étriper pour quelques poignées d’euros ou de dollars.
 Il y a néanmoins de plus en plus de familles monoparentales. Et la loi qui se profile bientôt en désirant faciliter la garde partagée est loin de satisfaire tous les foyers.
Entre  juxtaposition de vies, d'existences, d'expériences malheureuses et je l’espère quand-même heureuses : ça existe néanmoins… l’humour et l’amour est au rendez vous et règle les conflits et les litiges. Et la moindre naissance, fête d’anniversaire de mariage et autres unions réuniraient les familles, feraient battre les cœurs et traverser monts et vallées, des océans d’incertitude et de solitude morale. Le rire et le sourire se retrouve dans des visages marqués par l’âpreté de la vie et, entre les rides d’expression, les sourcils épais et les pâtes d’oies, on entrevoit le bonheur de se retrouver. Du coin des yeux, on ne se chuchote que des bonnes choses et force est de dire que c’est ça l’esprit de famille, qui ne fait qu’un contre vents et marées pour entourer celui ou celle qui suite au décès de son mari en a tant bavé. Un sourire, le même que ses sœurs et que celui de sa mère éclaire doucement son regard triste et doux aux pupilles noires comme des pépites de charbon. Mais la même expression de tolérance et d’acceptation règne en maitresse inconditionnelle dans la pupille d’un bleu transparent du père de famille qui enveloppe toute sa petite famille de son soutien, sa protection, sa bienveillance sans limite de temps et d’espace et surtout sans marquer de préférence aucune pour sa descendance et celle qui leur a donné naissance.

 Claudine
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Marguerite a survécu, bon an mal an au tsunami familial.
Alors, ressembler à un membre de sa famille est ambivalent, peu évident, mais il est humain et permis de poser sa date de naissance sur un axe chronologique : personne ne peut l'interdire.
Cela dit, Marguerite, placée depuis l'âge de neuf ans, voyageait un jour dans un autobus, quand une inconnue voulut lier conversation avec elle et lui demanda si elle était la fille d'untel, à cause de la ressemblance frappante de la tête et des expressions du visage. Aux yeux de cette personne, Marguerite était le portrait vivant et animé de son père : il ne pouvait pas la renier : donc elle n'avait pas de fardeau supplémentaire à porter : les enfants dits naturels à cette époque subissaient la double peine et même plus, étant mis au ban de la société : rebuts indésirables destinés à l'exploitation et à l'humiliation permanente, ils n'avaient d'autre choix que de partir quand on leur laissait la vie sauve.
Peut-être cela remuait-il chez cette dame des souvenirs, des sentiments, un passé tourmenté et trouble : la jeune voyageuse apprit peu après qu'elle avait été incarcérée pendant plus de dix ans pour six infanticides : chaque assassinat détruisait irrémédiablement toute ressemblance avec quiconque.
La famille de Marguerite n'avait de photos ni des vivants ni des disparus de sa propre famille ; tous ces taiseux , englués dans leurs problèmes existentiels, quotidiennement embourbés , n'évoquaient jamais leurs ascendants, ressemblances, différences, us et coutumes, la plupart étaient partis vers d'autres cieux... Les contemporains n'avaient pas idée de se faire portraiturer, ne voulant ou ne pouvant laisser une image, une empreinte de leur passage.
Des photos, des conversations auraient pu aider Marguerite à se sentir membre à part entière d'une famille ; comme tout allait à vau-l'eau, Marguerite s'est sentie toujours isolée, au milieu de nulle part, or les débuts dans la vie sont fondamentaux pour prendre ses repères.
Tandis que Marguerite grandissait et voyait épisodiquement les siens, elle réalisa au fil des ans qu'elle avait hérité de la plupart des maladies héréditaires présentes dans les deux branches confondues, ce qui lui faisait penser qu'elle était bien l'enfant de quelqu'un, précisément.
L'enfant avait été profondément choquée dans sa famille d'accueil, par les propos de l'homme qui lui trouvait une tête de Boche, alors que c'était tout simplement impossible : donc encore une fois, on salissait la mère et l'enfant, y compris en alléguant l'adultère imaginaire , infâmant, l'intelligence avec l'ennemi, au risque de faire massacrer la maman innocente par le véritable père biologique si ces paroles nauséabondes étaient répandues sur la voie publique ! Marguerite n'en a jamais parlé à sa maman, déjà si malmenée !
Sur le plan intellectuel, dans cette famille très isolée, décriée, montrée du doigt, vivant en -dessous du seuil de pauvreté, Marguerite adorait les moments où sa maman prenait dans l'âtre un  brandon éteint et lui dessinait des lettres, des poules, rien que pour elle ; de son côté sa tante paternelle lui faisait lire une page du livre de lecture REMI ET COLETTE, prêté par l'école. Ces deux personnes qui n'avaient rien ont fait beaucoup pour Marguerite, en lui transmettant la lecture, l'écriture, le dessin. Ce trio avait des goûts et des aspirations communes qui auraient pu se développer et s'épanouir  dans des conditions satisfaisantes et sereines.
On ne remercie jamais ses bienfaiteurs comme on le devrait. Merci MAMAN, merci TANTE ! Il en résultera que Marguerite, ballottée de Charyb de en Scylla, se construisit dans le tohu bohu, au fil des ans, s'autorisant finalement à survivre, solitairement.

Marie-Christine

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