samedi 28 janvier 2012

A QUOI PENSE LA DANSEUSE ?






Passionnément, Degas peint les danseuses. 
Seules, en groupes, sur scène, en coulisses. Il ne se lasse pas de la grâce de leurs mouvements, de leurs tutus vaporeux, de leur corps exigeant, malmené, émouvant.
Sous le charme de ses tableaux, on prend la plume...

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Deux danseuses, en longs tutus vaporeux, se détendent avant ou après l'effort.
Julie dont on ne distingue que les cheveux, la mèche brune et le chignon serré, se baisse sur ses cuisses. Elle tient dans ses mains ses mollets endoloris, durs et contractés par les efforts fournis les jours précédents. Elle paraît fatiguée, voire soucieuse. Douterait-elle de ses forces à venir ? Elle semble loin, très loin, son regard se perd dans les méandres dessinés dans les plaintes du plancher de bois. La position n'est pas très esthétique. La scène ne respire ni l'allégresse, ni la détente.
A ses cotés, Constance, toute occupée à étirer sa jambe gauche, replace sa cheville fine et son pied pointe en avant dans un bel alignement au risque de perdre l'équilibre. On aperçoit son doux profil, ainsi que de belles rondeurs. De ses joues colorées à ses épaules féminines, ce n'est que sensualité, douceur et beauté.
Les jolies bretelles dentelées du corsage mettent en valeur un large décolleté plongeant jusqu'à la naissance des seins. Constance jette un regard vers sa cheville. Elle caresse son coup de pied de sa main gauche et masse son mollet droit avec l'autre.
On ne voit pas les visages des danseuses. Elles se consacrent entièrement à détendre leur corps. Elles semblent entièrement tournées vers elles-mêmes. Elles sont côte à côte mais ne font que de se côtoyer, seuls leurs légers tutus de tulle se touchent légèrement.
Douce et triste solitude de la danseuse au service son art, face à ses incertitudes et à sa servitude.

 
Claudine

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Depuis sa plus tendre enfance, Maude consacrait beaucoup de temps à la danse. Que de sacrifices, d’heures d’entraînement et de régimes contraignants ! Elle rêvait de devenir danseuse étoile.

En se penchant au cours de ses assouplissements aux côtés de son amie la brune Léa, elle s’aperçut, oh stupeur ! qu’elle n’avait pas sa petite culotte sous ses collants et que son justaucorps était décousu.

Elle recula doucement jusqu’à  la porte et courut jusqu’aux vestiaires. Elle chercha vainement. Mais où était sa petite culotte ? Distraite ce matin, elle avait enfilé son pantalon sur sa peau nue. Ses collants étant opaques, aussi elle se dit que l’on ne remarquerait pas sa situation gênante.

Elle rejoignit le groupe, rougissante et mal à l’aise. Ce cours fut le pire de sa vie de danseuse. Elle se montra gauche et maladroite, s’attirant les réflexions désobligeantes de son professeur qui ne comprenait pas l’attitude de celle qu’elle considérait comme sa meilleure élève. A la fin de la séance, Maude s’excusa en prétextant un violent mal de tête.

L’incident fut clos heureusement et elle reprit sa place pleine d’avenir.

Mireille

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Superbe livre « Les danseuses » de Degas. Beauté des mouvements, finesse des traits et des coloris. C’est un réel plaisir  que de le feuilleter. Cela me rappelle d’autres jolies images.
A  quoi rêvaient-elles les danseuses de Degas, et Emilie et Julie, mes petites-filles, en s’habillant en ce jour de juin 1996, à quoi pouvaient-elles rêver ?



Depuis des mois, il n’était question que de ce spectacle, après des années de travail. Mes petites-filles faisaient de deux à trois heures de danse classique par semaine.
Aujourd’hui, c’est la récompense de tous c es efforts, la représentation au public. Dans de grands sacs : tutus, chaussons, collants, trousses de maquillage et de coiffure. C’est le départ pour la consécration. Plusieurs scènes sont prévues, classiques avec des pointes  et entrechats, puis celle où Emilie, vêtue d’un chemisier blanc et d’une jupe plissée à carreaux, semble animer des marionnettes. D’abord les petites en tutus vert et rose qui virevoltent en levant leurs bras en un gracieux arrondi. Pour les grandes, démonstration du ballet Casse-Noisette. Puis Emilie, réveillée par un superbe clown - Julie -, s’étire et se transforme en une magnifique ballerine, digne du pinceau de monsieur Degas.
Puis, elle évolue, gracieuse et légère, parmi ces compagnes pour un ballet figurant une fête champêtre. D’autres scènes se succèdent. Je suis très fière de mes petites-filles.
Maintenant jeunes femmes, Emilie est maman d’une petite Lina ; Julie bientôt peut-être.
A qui rêvaient-elles ce jour-là ?
Comme pour les danseuses de Degas, aujourd’hui de ces moments magiques ne restent que des tableaux ou des photographies.

Monique

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Pour ses huit ans, une grande surprise attendait Manon. Sa maman l’a emmenée voir au théâtre Le lac des cygnes ! Déjà, aller au théâtre à huit ans, c’est une aventure mais voir un ballet, c’est une féérie. Manon est fascinée et éblouie par la beauté du spectacle. Les tutus formant une corolle autour des danseuses, les coiffures en chignon agrémentées de fleurs ou de plumes, les jolis chaussons de satin sur lesquels la danseuse fait ses pointes, tout est beau !
Et puis, il faut voir comme toutes se déplacent avec une légèreté incroyable dans des envolées où les gestes des bras et des jambes sont d’une grande précision. Quand elles font onduler leurs bras, ne voit-on pas réellement un cygne sur scène ?
Pas étonnant que Manon déclare à sa mère le lendemain, après avoir rêvé toute la nuit : Maman, je veux être danseuse étoile.

Ma chérie, lui répond sa mère, tentant de lui faire sortir cette idée de la tête, c’est un métier très difficile, nécessitant un long apprentissage.

Manon plaide sa cause. Dans sa chambre, elle s’est essayée à arrondir ses bras au-dessus de sa tête comme elle l’a vu faire, à tenter le grand écart, et à faire des entrechats.

Après une démonstration devant sa mère : tu vois, dit-elle, je peux y arriver ! S’il te plait, maman, dis oui !

Ecoute, lui répond sa mère, quand je te dis que c’est un long apprentissage, je peux te dire aussi que c’est un douloureux apprentissage. Il faut chaque jour pendant des heures et des heures assouplir son corps à la barre. Et le professeur est très exigeant. Il faut apprendre à se déplacer avec grâce, en tenant compte des autres danseuses, exécuter les mêmes gestes au même moment précis pour que le tableau soit parfait, et bien sûr suivre la musique. Le maître-mot c’est Perfection.

Vois ces danseuses représentées par ce grand peintre. Soit elles s’apprêtent à entrer en scène et leur attitude montre la concentration. Tout en échauffant leurs muscles, elles repassent dans leur tête le déroulement du ballet, où elles ne doivent commettre aucune faute, insistant sur leurs points faibles pour forcer ce corps parfois récalcitrant à accomplir des gestes qui lui coûtent tant de peine. Ou bien, on pourrait dire aussi que la scène se situe après leur prestation, qu’elles sont harassées et massent leurs membres douloureux, en cherchant dans leur tête ce qui peut-être sera critiqué par leur professeur.

Pauvre Manon, décontenancée, obligée de revenir sur terre, mais quand même, c’était si beau, elle en rêve encore.

Colette

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Quand jolies petites souris et petits rats en tutus et ballerines "repetto" roses se retrouvent dans la salle de danse classique, le mercredi après-midi, pas un seul petit chausson n'ose caresser le parquet ciré, chacune attend les consignes, pas question de s’agiter ni même de chuchoter...

- Silence, mesdemoiselles ! tonne bientôt Melle le professeur.
On se concentre. Les visages se figent, les cous s’allongent, les jambes se rejoignent, les pieds se rangent sagement :
- Cinquième s’il vous plait mesdemoiselles.

C'est l'entrée en matière, comme si elle nous disait bonjour.
- On redresse le dos ! Le dos bien droit ! Droit, j'ai dit Delphine ! Redressez-vous. Corrigez-moi ce pied, allons. Un peu de tenue.

Delphine affine sa cinquième, les pieds en quinconce.
- On ouvre. Quatrième !  Allez mesdemoiselles, c'est le Lac des cygnes, c'est gracieux !
- On ferme. Cinquième ! Et un, et deux, et un, et deux, en mesure.

Elle tape alors de sa canne sur le parquet puis reprend.

- Les bras… Ornellia ! On arrondit, on ramène, léger comme un petit duvet… De la souplesse, de l'air, de l'air... Il faut sentir le vent !

Ornellia, très crispée, tente de se détendre.
La professeur arpente la pièce, et rien n'échappe à son regard bleu perçant, souligné d'un large trait noir d'eye-liner qui lui fait des yeux d'aigle dans un visage fardé à l'excès.
"Mademoiselle" enseigne maintenant depuis un certain temps, elle était première danseuse à l'opéra de Paris. Elle mène sa petite troupe d'une main de fer dans un gant de velours.
- Allons, de la grâce Solange.

Irène esquisse un petit sourire moqueur. Solange rougit. Elle s'exécute...
- La main devant. On étire, on arrondit. Maud... Léger !

Maud est la plus jeune d'entre nous, c'est une petite plume, la grâce personnifiée. Solange ne peut s'empêcher de la regarder effectuer un saut de chat parfait. La petite voilette de son tutu volette agréablement autour de ses jolies jambes bien galbées.
- On saute. Et un, et deux, et trois, et quatre… La jambe, plus souple. Florence ! On soulève, au genou, on tient. Et un, et deux. On pose le pied. Le pied, Solange ! Venez ! Placez-vous devant moi.

 Tous les yeux se fixent sur la pauvre Solange. Elle en rougit de confusion.
- Reprenez ! Et un, et deux ! Allez, ne vous arrêtez pas, le mollet tendu, le pied, pointe en avant. On pointe. On tient. Oui, c'est mieux ! Solange, du travail ! Du travail ! Il vous faut travailler !!! Vous viendrez répéter vendredi à 19h. Vous pouvez retrouver vos camarades.

Solange acquiesce, les yeux baissés, et s'en retourne. Melle Spiggler, d'origine allemande, a été éduquée à rude école. Elle ne passe rien !
- Mesdemoiselles ! De la discipline ! Du travail ! De la persévérance ! Allons, on recommence !
Notre professeur de danse entend être respectée. Le ton cassant, autoritaire, elle nous met toutes au garde-à-vous.
- Allons… Toutes ensemble.
Les dernières mesures du Lac des cygnes s'égrènent et résonnent encore dans nos oreilles, les petits tutus volettent, les pieds se posent avec grâce sur le parquet, les doigts se recourbent légèrement comme de blanches colombes et les bras dans un ensemble parfait, souples et légers comme des plumes, nous entraînent dans un ballet des plus aériens.
Melle Spiggler, semble satisfaite :
- Je vous remercie mesdemoiselles. Nous nous retrouvons mercredi prochain pour une ultime répétition.

Claudine

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Epuisée, éreintée, découragée, affalée sur la banquette… Que peut-elle penser ? Si elle en a encore la force.
Qui veut mes mains ? Mains fines et élégantes, faites pour tracer de légères volutes et décrire d’harmonieuses arabesques au-dessus de ma tête. Qui veut mes mains gracieuses, toutes neuves, un bon placement en somme ? Qui veut mes mains ?
Qui veut mes pieds solides et fermes pour dompter le sol si dur ? Qui veut mes pieds toujours sur les pointes jusqu’au sang ?
Qui veut mon esprit, celui d’une femme qui veut vivre et grandir ?
Qui veut mes mains ? Mes pieds ? Mon esprit ? Mon intelligence ?
Qui veut mes jambes si bien galbées et musclées, capables de sauter, de virevolter pendant des heures ?
Quoi ? Vous dites « non » ?
Mais alors vous voulez qu’aux coins des rues, misérables, honteuses, mes mains se tendent pour recevoir de quoi nourrir mon corps. Vous voulez que sur les pavés, les brousses ou les marécages, mes pieds sauvages, vagabonds, passent leur temps pour faire disparaître l’humain et l’esprit qui m’habitent.
Voulez-vous aussi mon âme ? Que je ne sois plus moi-même, mais seulement un numéro, un robot tournoyant dans tous les sens. Ou bien que je sois à vos pieds, suppliant, pleurant qu’on me donne un rôle secondaire de ballerine dans n’importe quelles conditions ; écrasée, bafouée, meurtrie… de l’humain ne gardant que la forme.
Voulez-vous enfin que je rende l’âme ?

Christiane

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