samedi 30 mars 2019

UNE FÊTE

Les enfants la préparent de longue date ! La veille déjà, la salle d’études a été fermée pour installer une grande estrade et mettre des chaises pour les futurs spectateurs et la cour de récréation bruisse comme une ruche en pleine activité. Les maitresses aidées de parents posent des planches sur des tréteaux ou placent des piquets pour délimiter les différentes activités. Des électriciens accrochent le long des murs, des banderoles et des petits drapeaux entrecoupés d’ampoules électriques colorées qui scintilleront par intermittence. Ils branchent aussi la sono. Enfin le grand jour tant attendu arrive ! Tous sont émoustillés. Ce matin encore, c’est la course pour garnir les stands d’objets à vendre réalisés par les enfants : cartes postales, bagues et colliers, petits animaux, quelques napperons brodés… Il faut aussi tout mettre en place pour les jeux : tirs avec des balles- mousse, courses de sacs, pêche à ligne, relais et championnat de hula-hoop. Moins d’une heure avant l’ouverture, les pâtissières déposent leurs gâteaux et les découpent en parts. Les boissons et  jus de fruits sont déjà là. Dans des paniers, des friandises et des bonbons enveloppés de papier brillant attendent les plus grands qui les vendront en circulant à travers la foule venue nombreuse.
A 14 heures tapantes, la grande porte d’entrée s’ouvre exceptionnellement pour laisser passer parents et amis. Joyeusement et dans le brouhaha des conversations, ils s’assoient pour voir  le spectacle. D’abord, les petits de maternelle déguisés en fleurs et en papillons entrent en scène sous une douce musique. Ils  tournent en rond et s’entrecroisent sous l’œil vigilant de la maitresse et celui non moins attendri de leurs père et mère. Puis quelques enfants, récitent une poésie. Pour Anne, ce sera «le Chêne et le Roseau» de La Fontaine, pour Christine, « Petites souris» de Lucie Delarue Mardrus et pour Louis, «Chanson pour les enfants, l’hiver» de Jacques Prévert. Et voilà, les grandes qui apparaissent à leur tour, vêtues de tutus. Au son d’une musique classique, elles dansent sur la pointe des pieds et font des entrechats. Puis les garçons les remplacent pour un petit sketch. La séance se finit sous les applaudissements et les cris de joie.
Et tous s’éparpillent dans la cour pour continuer à jouer et s’amuser, s’interpeler et rire, parcourir les diverses attractions et profiter d’un excellent goûter…Tout s’est bien passé ! La fête est réussie et chacun fatigué en gardera un bon souvenir.

Marie-Thérèse
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Souvenirs…Souvenirs…Est-ce que l’esprit de la fête était réellement là ?
Ce n’était pourtant pas l’envie qui manquait ! Notre matriarche gourmande et prévoyante achetait en conséquence les friandises, diverses confiseries et autres sucreries lors de certaines occasions  à Noel ou à Pâques. Lors de la chandeleur : elle nous faisait des crêpes. Mais très certainement  l’esprit communautaire et collectif nous faisait défaut : nous les enfants. Ingrats que nous étions. La rivalité et la jalousie freinaient quelque peu les démonstrations sincères et sereines qui rallient et lient le tout ‘à chacun. Et le sentiment de se sentir lésé(e)s ou laissé pour compte primait avant tout : gâchant le plaisir en pourrissant les moments festifs.
 Si j’en crois les générations qui ont suivi : ce serait dans le même état d’esprit que ces cadeaux de la vie seraient reçus. Heureusement : ils ne sont pas proscrits, encore moins prescrits sur ordonnance car il faudrait une sacrée intendance pour gérer les états émotionnels de chacun dans une famille où la place du tout ‘à chacun revient sois à l’ainé, sois au benjamin de sexe masculin. Mais la notion de transmission est bien ancrée dans nos artères  au sang mêlé et aux notions religieuses quelques peu adaptées, reconnues selon les circonstances et les croyances.
Ainsi va la vie et le sucre français fait partie de nous comme les bulles de Champagne font briller les yeux de ceux qui en consomment. 
Ainsi prendre connaissance des festivités perpétuées sur d’autres continents et sur le territoire français peut se montrer ô combien enrichissant et pleinement gratifiant. Je parlerais de la fête de l’Aid à laquelle j’ai eu l’occasion de participer en Kabylie il y vingt ans de cela et qui est restée gravée dans mes souvenirs comme un souvenir heureux. Comme lors de nos fêtes de fin d’année : c’est le moment de resserrer les liens familiaux et de venir saluer les nombreux villageois pressés aux bords des routes et des villages. Parées de leurs plus beaux atours les autochtones pratiquants ou non apparaissent sous leur plus jour sous un soleil ardent. Très féminines : les cheveux relevées, nattées aux jolis reflets de henné recouverts d’un foulard dans les tons de leurs jolies robes satinées d’un orange pétant aux broderies bleues, vertes et blanches pour les femmes apparaissent gracieuses. Graciles pour certaines, plus voutées et enrobées pour d’autres : qu’importe. On ne voit plus les rides dans ces visages marqués par les chauds rayons d’un soleil montagnard. De jolies montagnes que l’ont nomme aussi cathédrales car elles brillent de tous leurs feus la nuit venant : rappelant au passage la présence noctambule et quelque peu irréelle d’enfants, d’hommes assis au bord des routes sinueuses mais néanmoins accueillantes. Une nuit passe éclairée aux multiples lueurs des bougies formant des ramifications dans de multiples mains éclairent les Burnous ou les djellabas pour les hommes sur leur pantalon de ville. Le lever du soleil est divin ! Le mouton et le méchoui ne vont pas tarder à rejoindre la graine de couscous amoureusement brassée par des mains expertes et reposant derrière les tentures des fenêtres voilant un astre au zénith. C’est le moment de l’échange des cadeaux, des offrandes alimentaires qui permettent à tout ‘à chacun d’améliorer le quotidien et de renforcer la solidarité et la fraternité.

Claudine
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Dans un hameau montagnard du Couserans, ne figurant sur aucune carte, il restait six foyers ; les autres s'étaient éteints suite au décès du propriétaire, au départ pour New York, ou vers "la plaine", la Haute-Garonne, où la terre plus fertile et plus facile à travailler, rendait l'existence moins rude.
Vers la fin Janvier, on sacrifiait un ou deux cochons dans deux foyers ; les deux autres survivant chichement n'ayant pas les moyens d'engraisser des porcs, nourris avec le lait des vaches et les céréales. Enfin deux autres propriétaires, mieux lotis recevaient des mandats de leur famille américaine : ils pouvaient se permettre d'acheter de temps à autre de la viande dans l'une des deux boucheries du chef-lieu du canton ; cette emplette complétait la production de leurs poulaillers respectifs.
La maman de Denise était quotidiennement à la peine pour engraisser les deux porcins et nettoyer leur soue ; dès la mi-janvier, il fallait lancer les invitations, s'assurer que le tueur serait disponible et équipé de tout le matériel nécessaire, que des hommes solides viendraient accompagner et tenir les bêtes jusqu'au lieu du supplice. Parfois un garçonnet tenait la queue du cochon avec fierté.
Il fallait faire des achats qui grevaient un budget déjà inexistant : citron, noix de muscade, poivre en grain, sel : gros et fin, noix de muscade, clous de girofle, eau de fleur d'oranger, huile, gousses de vanille. Denise était transportée dans un autre univers, s'émerveillait devant le flacon couleur lapis lazuli habillé d'une étiquette de rêve : de l'eau de fleur d'oranger distillée sur la Côte d'AZUR.
Les préparatifs commençaient l'avant-veille : la maîtresse de maison sortait le service de vaisselle ornementé de rayures tricolores, le chaudron de cuivre, les nappes blanches, les récipients, les couverts, les rallonges.La provision de bois devait être conséquente car tout cuisait dans l'âtre, sans oublier les coutelas et le hachoir. Anna, la mère de Marcel apporterait le hachoir muni de grilles de différents calibres suivant que l'on fixerait avec une vis en bout de table.
D'abord, c'était" la prise du cochon": une fois l'animal dûment allongé, maintenu, égorgé sur le pétrin retourné du pain, le sang était recueilli, vivement battu pour éviter la fibrillation, la coagulation, car il allait être utilisé pour le boudin. Il fallait ensuite ébouillanter la bête, racler raser vivement avec des racloirs, brûler la corne de ses sabots. La toilette devait être impeccable pour éviter la prolifération de microbes, puis  les hommes enchaînaient les pattes arrière et le transportaient à l'intérieur pour l'accrocher à la poutre maîtresse du plafond, tête en bas, au pied du lit de la grand-mère maternelle de Denise.
A ce moment-là, on incisait l'abdomen afin d'éviscérer le porc: on voyait le foie pour les saucisses, le boudin, le pâté, les poumons et une partie de la fressure pour le boudin aussi.
Les intestins : le grêle et le gros devaient être rapidement vidés, nettoyés, Anna retirait le gras  adipeux avec une épingle à chignon, sans trouer le boyau, ni le tordre, encore moins le perforer.
Denise adorait laver "le ventre" du porc, à la fontaine, vu que l'eau courante n'existait pas dans les maisons du hameau. La propreté devait être irréprochable. La vessie servirait à mettre de la graisse fondue.
Tandis que les deux carcasses s'égouttaient dans des seaux en fer-blanc, maintenues ouvertes par un pieu de part et d'autre de la cage thoracique, la fête du cochon commençait.
Les convives prenaient place, s'attablant devant les entrées : trois plats composés d'œufs durs, de rondelles de saucisson de branches de chou-fleur, le tout artistement présenté et parfaitement assaisonné. Suivait le bouillon au vermicelle coloré avec du roux. La poitrine de veau farcie était entourée de légumes. Venait le dessert : du riz au lait aromatisé de vanille et les beignets à l'eau de fleur d'oranger. Les gros pains ronds venaient de la boulangerie ; le vin, le café, l'eau de vie artisanale et le rhum accompagnaient le festin.
On restait plus de deux heures à table ; les convives repartaient dans le froid , la neige, avant la nuit pour abreuver leurs vaches.
Le branle bas de combat suivait son cours : le grand chaudron de cuivre, sur le grand trépied, dans l'âtre, attendait la venue du boudin préparé avec les bajoues, le coeur, les poumons du gras et des épices : on gardait l'eau grasse de la cuisson pour faire du milla avec la farine de maïs vivement tournée avec une immense spatule ; on versait cette préparation sur la table recouverte de nappes blanches et saupoudrées de farine de blé ; on laissait refroidir et on découpait en tranches que l'on ferait ensuite dorer à la poële, 'il fallait faire la vaisselle et la ranger. IOn gardait du filet mignon pour le grand père maternel et pour monsieur le curé : on nommait ce présent le filet de monsieur le curé.
Le lendemain on préparait la chair à saucisse à l'aide du hachoir en fonte vissé au bout de la table, en actionnant la manivelle, la chair sortait par la grille de l'appareil.
Les jambons séchaient à l'intérieur de l'âtre en attendant d'être mis au sel dans le saloir, les saucisses étaient disposées sur de longues perches au plafond pour rejoindre rejoindre plus tard de grands pots en grès, recouvertes d'huile. Les saucissons une fois secs iraient au grenier sous la cendre de bois.
Les quartiers de lard sécheraient et puis seraient salés.
Denise admirait le travail de sa mère qui magistralement préparait les provisions pour une année entière. Dans le cochon, tout est bon !

Marie-Christine
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Ce n'est pas une fête traditionnelle dont je vais vous parler mais d'un départ en vacances. Pour moi c'est une fête, et si pour les autres ce n'est pas le cas, j'en perds mon latin. Que peut-on espérer de mieux en effet après l'hiver, la grisaille, le froid et la pluie, sinon d'aller voir ailleurs pour y trouver à coup sûr le soleil et la chaleur.
Mais comme beaucoup de choses, les vacances se préparent bien à l'avance. Quand on est décidé sur la date, il reste à choisir la destination ; alors, pour ça on se penche sur le catalogue, on le feuillette minutieusement, on l'étudie, on pèse le pour et le contre de chaque offre. Chaque page nous fait rêver mais il faut savoir se montrer raisonnable et ne pas oublier de regarder aussi la colonne «prix» ! Vient ensuite le moment de trancher entre deux ou trois destinations qui nous attirent mais ce n’est pas le plus difficile, on sait que de toute façon, quelle que soit la décision finale, ce sera formidable. Une fois  cette étape franchie, il faut réserver l’hôtel, alors très vite on se met devant l'ordinateur, quelques clics et c'est fait, c'est quand même beau la nouvelle technologie.
Une fois ce détail réglé on se sent déjà ailleurs, on rêve, la vie nous paraît de suite plus légère. Mais les jours passant très vite malgré tout, on pense déjà à ce qu'il faudra emporter. Il s'agit de ne rien oublier tout en veillant à ne pas trop charger les valises, pour ça on prépare ce que j'appelle une «check liste». L'indispensable vient de suite en tête, on le note tout de même. Puis, au fil des jours, une petite chose, un détail nous vient en tête, alors vite on prend la liste et on l'ajoute à la suite.
Arrive enfin la veille du départ, on devient fébrile et c'est le cœur léger qu'on prépare la valise, ça y est, on part. On sort alors le linge et tout ce qui est noté sur la lite, on arrange au mieux le tout, le linge délicat et les objets fragiles devant rester sur le dessus afin de ne pas être écrasé ou malmené. On termine et on ferme la valise, on la cadenasse à l'aide du code, c'est fait, on est heureux.
Le lendemain on est encore vigilant, il ne s'agit pas de rater le coche, il faut être à l'heure, au bon endroit et dans le bon avion. Une fois l'embarquement terminé on décompresse, on est en route, le plus dur est fait, maintenant nous sommes pris en charge, à d'autres de tout gérer et de décider. Que c'est bon de se laisser vivre...
A l'arrivée la découverte des nouveaux lieux nous laisse un peu ébahis, on fait des tas de projets pour les jours suivants, il y a tant à voir et à découvrir. On le sait, cette semaine passera très vite, gageons que refaire sa valise en vue du retour ne sera pas aussi réjouissant, à nous de nouveau la corvée des courses, de la cuisine et du ménage. Mais pour tenir bon au retour, on se note dans un coin de la tête, «ne pas oublier de réfléchir au prochain séjour, à la prochaine destination».

Paulette
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A la campagne, encore à la fin des années cinquante, Denise enfant allait parfois aux Rogations : le prêtre, dûment revêtu de ses habits sacerdotaux allait se recueillir au pied des croix de granit monumentales érigées sur le territoire de la commune. La procession se composait essentiellement des enfants de chœur porteurs du goupillon plongé dans le récipient d'eau bénite et des enfants du catéchisme.
Il s'agissait, au début du printemps d'implorer le Ciel pour que le temps soit clément pour les futures récoltes, qu'elles ne soient pas détruites par les parasites, la grêle, les intempéries. Cette cérémonie était issue des Rogalia romaines : elle a peut-être disparu, le monde agricole ayant beaucoup changé.
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Denise a participé quelquefois à la Fête Dieu : au mois de Mai : le prêtre, porteur de l'ostensoir, avançait sous un dais tenu par quatre porteurs, faisait une station à chaque reposoir, entouré des catéchistes, "des saintes femmes " et suivi de quelques villageois. A chaque présentation de l'ostensoir, il fallait jeter une pluie de pétales de fleurs ; Denise en avait cueilli en descendant de son hameau, distant de plusieurs kilomètres, mais elle n'avait pas de corbeille ; elle se rendait chez l'épicière Nana Souques qui vidait celle des sucettes exposées en vitrine, la remplissait des pétales de pivoines, roses, aconits, boutons d'or, marguerites puis, après avoir passé un long ruban blanc à chaque extrémité, passait le tout au cou de Denise ; bien entendu, à la fin de la cérémonie, Denise rapportait à l'épicerie la corbeille qui reprenait sa fonction première.


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