mardi 15 septembre 2015

6 TABLEAUX DE MANUEL ZAPATA ORIHUELA

En voyant ces tableaux et en les plaçant à ma façon, je vois une belle histoire. La fileuse devant le monolithe immobile, file la vie de ce petit être dans les bras de sa maman. Elle imagine son bébé tendrement enlacé qui sera, une fois adulte, un rude pêcheur. Harassé par sa nuit en mer houleuse et la pêche qui, en plus, ne fut pas bonne, il faudra réparer le filet qui est déchiré. Sa petite pêche est déjà sur le marché. Les femmes devant les étals se communiquent les dernières nouvelles. Tout va bien chez vous ? Mon pêcheur de mari n’a pas de chance : la pêche est mauvaise et le mousse s’est blessé. Surprise ! Tout cela n’était que le rêve d’une paysanne. Elle voulait se reposer après une dure journée aux champs. Au milieu des gerbes de blé et des meules de foin, a surgi dans son rêve un souvenir d’enfance. À l’école, elle avait lu une histoire qui parlait du rude métier des marins-pêcheurs. Elle l’a mélangée avec un reste de légendes que lui racontait sa grand-mère. 
Que fait-on dans nos rêves ? Des voyages impossibles, des rencontres insolites qui éclatent au réveil comme des bulles de savon.
Voilà tout ce que j’ai vu, moi, devant les œuvres de cet artiste.

Colette

Sous le ciel alourdi par la nuit qui s’agrippe, répandant d’un geste large mais lent, la brume du matin, des formes sombres et bossues se profilent déjà depuis l’extrémité de la place et jusque dans la rue qui surplombe son balcon. L’artiste est là, le carnet à la main, prêt à croquer dès les premiers rayons du soleil, ces paysannes lourdement chargées, s’installant à même le sol, pour une matinée de marché. Dans la pénombre qui s’évanouit peu à peu, elles
déroulent la toile qu’elle porte sur leur dos enveloppant leur fardeau et déchargeant de gros sacs de jute qu’elles entrouvrent. Puis elles s’accroupissent à côté de leur trésor ou s’assoient en tailleur dans l’attente du soleil qui fera venir le client.
Certaines ont de plus, leur dernier-né emmailloté dans la grande bande de tissu colorée, nouée à leur cou. Elles le portent dans le dos ou parfois sur le ventre quand les sacs sont trop gros.  Là, dans le coin, voilà une mère qui s’est accroupie, son nourrisson serré dans les bras. Cherche-t-elle l’ombre pour le protéger ? Sans doute ! L’artiste aux aguets, l’a remarquée et la croque. Quelques traits, quelques couleurs ! Le noir d’ébène de leurs cheveux rehaussera le rouge d’une partie de la couverture qui entoure l’enfant et celui du vêtement de sa mère. Une légère ligne jaune orangée le long du bras l’intensifiera, accentuant l’impression de tendresse. Maintenant, elle et son enfant se sont assoupis comme pour toutes ces paysannes, la route a été longue et le trajet harassant, un petit somme leur fait du bien.
Tout près, à ses côtés, une autre femme dort. Et dans le ciel qui brusquement se déchire pour laisser apparaitre l’astre étincelant, la paysanne rêve, rêve à ses champs là-haut dans la montagne. La pluie tombera-t-elle suffisamment pour faire croître son blé et gonfler les épis du maïs ? Le soleil saura–t-il, dieu vénéré, lui prodiguer une récolte optimale ? Cette terre, elle l’aime comme elle aime son enfant qu’elle croit tenir enserré dans ses bras, caché dans la toile. Telle la graine dans le sol souvent si aride, cette terre produira-t-elle suffisamment pour le nourrir ?  Et dans la clarté du soleil qui maintenant illumine son beau visage et rosit ses vêtements, l’artiste est là esquissant les formes à grands traits. Devant cette femme assoupie aux traits paisibles et à la bouche légèrement entrouverte, laissant passer  le souffle de la vie, il devine ses pensées  et son crayon glisse sur le papier, donnant forme à son rêve. Puis, dans son atelier, sur la toile déjà préparée, il poursuit son propre songe, la transformant en symbole de tout un peuple.
Sur le mur, celle de la veille sèche en attendant une dernière couche de vernis. Il est allé, là-haut dans la montagne, sur le plateau andin et de Matucana, il a rapporté toute une provision de sujets comme cette fileuse assise aux abords du village. La lumière du soleil levant enveloppe le paysage d’une chape dorée. Le ciel encore rouge éclabousse de sa splendeur une partie du visage de la jeune femme et son ample jupe, les teintant d’un orange intense. Le regard fixé sur le lointain, surveillant les troupeaux, la bergère file, file de ses doigts habiles, la laine blanche de ses alpagas. Ses yeux grands ouverts semblent vouloir vous dire : « admirez mon ouvrage ! ».  A côté, l’artiste travaille à sa nouvelle œuvre.
Cet après-midi, quand la chaleur commencera à baisser, il s’en ira jusqu’à la plage de la Herradura  pour s’y délasser un moment. Sur son chemin, il croise la petite cabane au toit de lattes, plantée comme un guetteur sur le bord de la crique. Une odeur bien reconnaissable
s’en dégage. Au-dessus de l’étal ouvert, accrochés sur un fil, que de poissons aux noms étranges : tramboyo, lorna, lisa, chita corvina ou cojinova ou bien encore pejerrey ! Déjà l’artiste a sorti son carnet et croque la lumière qui s’immisce à travers les planches, les colorant par endroits de brun ou de jaune. La poissonnière est là, cachée dans l’ombre comme couverte d’une lumière bleutée. Un client s’approche. Elle tend le cou. Demande-t-il  un morceau de bonite pour cuisiner un ceviche, plat typique à base de poisson cru ? Sans doute ! La poissonnière en place un tout frais sur l’étal et sort de dessous la bâche, le grand couteau à la lame déjà rougie que la  réverbération du soleil, avive. Deux, trois croquis à l’emporte- pièce, et l’artiste s’éloigne.
Il descend à travers les roches et le voilà sur la plage. Il sait qu’il va y retrouver près de l’anfractuosité, son ami le pêcheur. Oui, il est bien là ! Rentré de la mer après une rude nuit de labeur, il est parti au port, vendre le produit de sa pêche. Et puis, dans le soleil encore chaud de cette fin d’après-midi, il est revenu vers sa barque qu’il a tirée hors de l’eau. Il s’est assis sur le rebord et courbé, il examine avec attention, son filet. Il ne faudrait pas qu’une maille coupée vienne à l’endommager ! Il faudrait tout de suite le raccommoder !  L’artiste est là, tout près, et saisit cet instant magique où le soleil fait briller le sable, la barque et les vêtements, enveloppant le tout dans des vibrations de jaune et de rouge que les taches d’ombre terre de sienne ou bleu, exaltent.  Quelques mots à son ami, un plongeon dans la mer, et le voilà de retour à l’atelier.
Un coup d’œil à sa toile, il inspecte son œuvre déjà bien commencée. Il saisit son pinceau, le trempe dans une couleur, donne quelques légères touches à moins qu’il ne les pose délicatement au couteau. Il pense déjà à demain où il continuera son travail. Il s’assoit et son esprit vagabonde. Instinctivement, il prend son crayon, se met à dessiner des formes géométriques qui s’entrecroisent et se mêlent et d’où sortira peut-être l’ébauche d’un nouveau tableau : un autre monolithe où dans la pierre se gravent les symboles de tout un
peuple. Des formes hiératiques surgissent, des becs de coqs ou plus sûrement de condor comme de grandes oreilles autour d’un visage large, arrondi, symbole de puissance, au front orné d’un disque solaire. Les yeux agrandis et la bouche rectangulaire quadrillée par les dents, rappellent le dieu jaguar de la civilisation Chavìn, tout comme ses bras en forme de serpents.  Alors, il prendra peut-être son livre de chevet, le manuel de l’archéologie péruvienne et se plongera dans la lecture des civilisations anciennes. Moche, Chavìn, Wari, Tiahuanaco, Nazca, leurs monolithes et leurs pierres gravées de mille signes plus ou moins mystérieux  l’emmènera à son tour au pays des songes.

Marie-Thérèse

Aucun commentaire: