vendredi 11 septembre 2015

LES MÉTIERS DISPARUS

La rue descend légèrement et c’est allégrement que je la prends ce matin-là. Il fait beau, presque chaud. Au coin de la place, un tout nouveau magasin de surgelés est là, au rez-de-chaussée. Peint en blanc, l’encadrement de sa vitrine aux grandes vitres transparentes, dépassent légèrement la façade grise de cet immeuble déjà ancien. Entre deux étages, comme sur un fronton, quelques lettres gravées dans le mur gris s’effacent peu à peu : « Glac..ères Chare..ais.. ». Immédiatement, ces quelques mots font jaillir de ma mémoire la vision d’un passé déjà lointain. D’un portail grand ouvert d’où s’écoule souvent un filet d’eau, sortent régulièrement d’avril à octobre, des attelages de deux chevaux. Ils tirent une charrette pleine de paille sur laquelle reposent les pains de glace. Au bruit des fers sur le sol, les ménagères sortent sur le pas de leur porte et hèlent le cocher, assis droit comme un i sur la banquette avant. Alors, d’un geste bref, il tend les rênes et du long fouet qu’il tient à la main, caresse le dos des animaux. Les roues de bois cerclées de fer crissent et l’attelage s’arrête le temps qu’à l’arrière, le glacier, vêtu de son tablier de cuir, décharge la marchandise, des blocs de 2 à 5 kg. Souvent, il les porte jusqu’à la glacière de la cuisine et, l’achat réglé, il grimpe sur son siège tandis que l’attelage s’ébranle à  nouveau. Leur passage laisse une trace humide sur les pavés de la ville et parfois quelques crottins que les chanceux propriétaires de jardins s’empressent de recueillir dans leur seau, une pelle à la main !
En hiver, ce sont plutôt les marchands de charbon qui traversent la ville, avec leur tombereau fermé sur les côtés. Il ne faut pas qu’un boulet ou un morceau d’anthracite s’échappe ! Certains sont déjà aux aguets pour s’en emparer. Ce serait une aubaine ! Les temps sont durs ! La commande passée au petit café auvergnat, chez «le bougnat », le commis arrive, tout de noir vêtu, la figure et les cheveux couverts d’une poussière qui s’incruste dans la peau. D’un coup de reins, il attrape le sac, le pose à même la rue et l’ouvre. Il le déverse alors dans la cave, par le soupirail à ras du sol. Sous l’effort,
il transpire malgré la température souvent froide. D’un revers de la manche, il s’essuie le front laissant des marques noires sur son visage. Il me fait penser aux petits ramoneurs savoyards que j’ai vus dans les livres ! Entre deux livraisons, parfois, certains lui offrent un verre de vin à la va vite avant de refermer la porte. Dans la cave, la ménagère remplit déjà, de ce précieux trésor, le long seau noir conique, et monte charger le foyer de la cuisinière qui va ronronner une bonne partie de la journée, diffusant un peu de chaleur. Demain matin, le feu à demi éteint, elle secouera la grille et videra les cendres avant que de la remettre en route. Mais pour ceux qui ne disposent que d’une cheminée, c’est aussi le marchand de bois qui passent livrant bûches et fagots, les plus démunis devant aller eux-mêmes s’approvisionner en forêt.
Soudain, un appel  dans la rue, presque un cri me rappelle le rémouleur. Je le revois ! Il pousse sa charrette à l’allure si  particulière avec ses deux très grandes roues métalliques à rayons,  tout en criant « rémouleur, rémouleur, repasse couteaux, repasse ciseaux ! » Il s’arrête à chaque coin de rue et fait tinter sa clochette perchée en avant au-dessus de  la meule placée au centre de cet assemblage. Bientôt une personne sort d’une maison puis une autre, lui tendant l’ustensile à aiguiser. La file s’allonge.  Il s’assoit alors sur le petit banc à l’arrière de la machine et de son pied, active la pédale. La meule tourne vite et un peu d’eau gicle de chaque côté. Il  lui présente la lame tout en la faisant glisser de droite à gauche pour bien en équilibrer le fil. Il en vérifie le coupant, la remet une nouvelle fois au contact de la
pierre.  En quelques minutes, le travail est fini.  Satisfait, il le rend à son propriétaire. Les clients disparus, il repart vers un autre coin ou un autre quartier. Peut-être croise-t-il près de la poste la marchande de quatre saisons installant sur ses quatre pieds et sa béquille, sa charrette colorée chargée de fruits et légumes ou bien, portant de grandes vitres sur le dos, le vitrier criant « vitrier, Vitrier, carreau cassé, carreau remplacé » ou bien encore, le garde-champêtre, muni de son képi et de sa trompette, crieur public annonçant quelques nouvelles ou règlements ? Passe-t-il devant le rempailleur de chaises travaillant assis sur le pas de sa porte ou devant le vannier tressant l’osier pour le transformer en paniers plus ou moins grands ? Comme lui, je jette un regard sur sa droite là où derrière la vitre, la modiste façonne à main les chapeaux, fixant sur le feutre ou la paille, plumes et rubans. Plus loin, je vois l’apothicaire–herboriste vêtu de sa grande blouse grise avec, dans sa vitrine, ses grands vases blancs ornés d’arabesques bleus et de mots latins et sur le sol, les sacs débordant de plantes odorantes. Jouxtant sa boutique, voilà celle du droguiste-quincailler un peu sombre ! Une odeur forte, un brin entêtante s’en échappe. D’un côté s’alignent tous les pots de peinture ou de pigments et de l’autre, les ustensiles de cuisine, les clous et tout ce qui est fabriqué à partir du fer et de l’étain.
Un coup de klaxon impératif me rappelle à la réalité. Je suis sur la rue et je gêne la circulation ! Mais tous ces petits métiers aujourd’hui disparus continuent à me trotter dans la tête ! Ce ne sont pas les achats effectués le  long des comptoirs des grandes surfaces qui redonneront le plaisir de ces rencontres, de ces quelques brèves paroles échangées!

Marie-Thérèse
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Le faucheur

Le village endormi rêve, et ses tuiles roses
S’étirent mollement parmi les cheminées ;
La rivière bavarde, à l’écume argentée,
Jase entre les galets et les sapins moroses.

C’est l’heure où le faucheur, ami de la rosée,
Marche à travers les prés, la faux sur son épaule,
L’étui à la ceinture, les marteaux au côté ;
Ses pas sont étouffés par les fougères molles.

La pierre sur l’acier sonne le clair matin ;
La faux glisse sur l’herbe avec un bruit de toile,
Et le long de la lame s’alignent les andains,
Docilement, comme des plis de vertes voiles.

Sur le foin ordonné en rangées symétriques,
Gisent éperdument, aveuglés de clarté,
Les insectes multiples aux élytres bleutés ;
L’air réchauffé s’élève en ondes concentriques.

Cependant le faneur est venu dans le pré,
La fourche fait voler les graminées sans nombre,
Tandis que le faucheur poursuivi par son ombre
Fauche inlassablement la moisson diaprée.

Marie Christine
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C’est avec nostalgie que je me plonge dans mes souvenirs d’enfance.
Dans les années 40, nous voyions le « raccommodeur de faïence et de porcelaine ». Les femmes lui apportaient plats et assiettes cassés en deux voire trois morceaux, et, miracle pour mes yeux d’enfant tout était réparé. Et ces objets retrouvaient leur place d’origine. Il y avait aussi celui qui bouchait les trous dans divers récipients, et le « rétameur » qui déposait une fine couche d’étain sur les couverts pour éviter la rouille et le vert-de-gris.
Je me souviens aussi, arrivée en ville, du « vitrier » qui passait dans les rues en criant Vitrier ! Sur son dos, il portait une sorte d’échelle sur laquelle étaient placées des plaques de verre. Les ménagères, dont une vitre était cassée, l’appelaient… et voilà, la vitre cassée était remplacée.
N’oublions pas également « l’allumeur de réverbères » avec sa baguette magique à mes yeux d’enfant. Il appuyait sur sa cible une petite échelle et, tendant sa baguette, allumait le réverbère. Pour moi, c’était magique et fantastique. J’ignorais alors que le réverbère fonctionnait au gaz de ville. Au matin, même travail pour les éteindre.
Dans nos campagnes, il y avait le « charpentier » qui en plus des charpentes qui soutiennent les toits fabriquaient pour certains des roues de toutes tailles. Le « charron » prenait sa suite en les cerclant de métal dans sa forge. Il pouvait aussi être « maréchal-ferrant ». Il fallait bien que le feu soit utilisé à son maximum. Alors, il ferait des chevaux, parfois les bœufs de ceux qui ne pouvaient acquérir un équidé, quelques fois c’était une vache que l’on ferait pour les travaux des champs.
En remontant le temps, il y avait le « tisserand » qui passait de grandes fermes en grandes fermes, les brodeuses et « dentellières » le suivaient. Il fallait bien embellir les draps et autres pièces du trousseau qui venaient d’être tissées. Le mariage était prévu ! Ce jour-là, on buvait de l’alcool qu’un « bouilleur » avait fabriqué dans son alambic. Il passait de fermes en fermes pour bouillir le cidre ou le vin. Les « lavandières » étaient elles aussi de corvée. Le jour du mariage, des musiciens « cornemuseux » ou « vielleux », suivant les régions, devançaient le cortège. N’oublions pas les couturières qui aidaient en faisant les robes, les « culottières » et les « tailleurs » pour les messieurs. Le « rémouleur », le « tonnelier », le « soyeux », le « cantonnier »… autant de divers métiers qui ont évolué avec le temps. Il y en a tant qu’un livre serait nécessaire pour les sortir de l’oubli. Là…. Pour l’écrire, je demanderai l’aide d’un « écrivain public » !

Colette
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Le joueur d’orgue de Barbarie

Dans un coin du square qui longe la rue de la Roquette, une bande de garçons et de filles d’environ huit à douze ans discutent. Ils doivent probablement sortir du conservatoire municipal de musique situé dans une rue voisine. Moi, je joue du piano, dit l’un. Moi du violon, dit l’autre. Moi, de la harpe, de la guitare, du violoncelle, de la flûte… Les uns et les autres parlent de l’instrument dont ils jouent ou ne jouent pas, parlent, parlent, parlent dans un sacré brouhaha.
Un peu plus loin, un homme assez âgé, assis sur un banc écoute d’un air amusé.
-          Vous, monsieur qui ne dites rien et vous taisez, jouez-vous d’un instrument ? osa le plus hardi de la bande.
-          Bien sûr, je joue de l’orgue de Barbarie.
-          Qu’est-ce que c’est que ça ?
-          « Orgue », ça me fait penser aux longs tuyaux métalliques qu’on voit au fond de certaines églises.
-          « Barbarie », cela me rappelle les Barbares qui ont envahi la Gaule, comme on l’apprend en histoire.
Pendant ce temps, l’homme a tiré une petite charrette, cachée derrière le banc. Elle supporte l’instrument au nom bizarre ; celui-ci est composé d’un système de soufflets reliés à une boîte à vent afin de produire des sons. Tout cela commandé par un organe mobile composé de bandes de cartes perforées attachées les unes aux autres et se dépliant en accordéon. Une manivelle actionnée par le musicien fait fonctionner les soufflets, progresser le programme et tous les mécanismes correspondants.
-          Oh, monsieur, faites marcher votre instrument !
Le joueur d’orgue de Barbarie actionne la manivelle. La musique qui sort de la boîte est si vraie, si vivante, si jolie qu’une blondinette aux yeux bleus, s’écrie : « Super ! C’est génial, je veux apprendre à jouer de l’orgue de Barbarie. Adieu les dièses, les bémols, la clef de sol, de fa. Inutile même de connaître ses notes, il suffit de tourner une manivelle ». Et tout ce petit monde de scander « Vive l’orgue de Barbarie ».

-          Monsieur, revenez pour nous apprendre à tourner la manivelle et nous pourrons faire danser tout le monde autour de nous. Au revoir monsieur, et à mercredi prochain, à la même heure ! »

      Christiane
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Que de métiers disparus dans les tourbillons du temps. Pourtant chacun avait sa place, sa formation et ses ouvriers. La plupart du temps les enfants exerçaient la profession des parents…
Mais beaucoup s’apprenaient en entrant en apprentissage. Dans chaque corporation, le maître a souvent deux ou trois apprentis en plus de ses propres enfants. L’instruction prend en général entre deux et douze ans, selon le métier, et peut débuter dès sept ans, mais la plupart du temps les jeunes ont entre quatorze et vingt-deux ans, tous et toutes célibataires.
Certains deviennent ainsi de véritables artistes en leur métier, après avoir effectué son « tour de France » en devenant compagnon du Tour de France.
Certains métiers n’ont plus cours à cause  des nouvelles technologies ou sont devenus inutiles aujourd’hui… tel l’affienteur (marchand de fumier et d’engrais), l’alênier (qui fabrique des poinçons pour travailler le cuir), le rémouleur (affuteur de couteaux, poignards, rasoirs, ciseaux), l’anilier (fabriquant de béquilles), la blondeuse (dentellière en soie), le calamier (qui taille et fabrique les plumes pour écrire), le blavier (qui garde les récoltes de blé), le briseur (qui boise les galeries des mines), le bousilleur (maçon qui fabrique du mortier avec de la paille et de la boue), le brayeur (ouvrier maçon qui monte les matériaux avec des cordages), le charbonnier (est-il utile de dire qu’il fabrique le charbon) et le chassissier (qui pose du papier huilé aux fenêtres en guise de vitres).
Je pourrais continuer ainsi longtemps car la liste est longue de tous ces métiers qui  n’ont plus leur place de nos jours.
Métiers anciens, métiers qui demandaient une formation, métiers qui n’étaient pas bien payés, les dangers étaient présents et peu ou pas de protection, mais tout le monde avait une fonction, sa place… seuls les vagabonds se laissaient aller à la paresse… Les troubadours et autres conteurs colportaient les légendes et les nouvelles…

De nos jours, plus besoin de tout ça… industrialisation, technologie, informatique sont passées par là… et riment avec chômage.

Valérie
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Et de parler, encore et encore, des marchands ambulants, des ramoneurs aux marchands et primeurs et de quatre saisons, en passant par les montreurs d’ours, les cracheurs de feu, romanichels et saltimbanques d’antan, et les crieurs à la volée pour annoncer bonnes et mauvaises nouvelles… ces figures bien connues qui ont quitté nos régions et nos esprits. On ne les entend plus ces colporteurs avec leurs roulements de tambour et leurs grosses moustaches s’adressant au tout-venant en roulant les R : « Avis à la population… ». Et les rempailleurs, prêts à redorer et redonner une jeunesse à mes chaises Renaissance, si vous m’en trouvez un, je vous en serai reconnaissante. Et si j’avais envie de me faire carder un matelas à l’ancienne avec de la belle laine de brebis fraîchement tondue et nettoyée ? Qui pourrait m’assurer les services d’un bon cardeur afin d’aérer mon oreiller ou mon matelas si j’éprouve le besoin de requérir à ses services quelques années plus tard ?
Je devrai mettre des affichettes ou encore chercher sur Internet : « Cherche désespérément un rempailleur-cardeur ! » Et d’en trouver un bien consciencieux, qui sait encore tisser, tresser, entremêler les fibres naturelles : osier ou raphia ou encore bambou, coco que l’on utilise pour les meubles relève du grand défi conceptuel. A l’heure actuelle, la mode tend à revenir aux matières naturelles et vivantes, mais à des prix parfois faramineux… ce qui deviendrait épique et inciterait certains puristes à surfer sur des sites spécialisés ou à se déplacer vers des îles paradisiaques très lointaines qui fabriquent à des prix défiant toute concurrence des produits design correspondant à nos goûts et notre retour aux produits dits naturels.
Et si je vous parlais alors des fauteuils style Louis XVI et de la bergeronnette couleur vert bronze qui trône encore dans le salon familial avec son revêtement de velours terni et lustré qui aurait besoin d’être changé et clouté… A quelle manufacture des Gobelins ou filature du Nord ayant fermée ses portes depuis bien longtemps devrais-je avoir affaire ? Je passerai ainsi tous les métiers en demandant un travail de passementerie, de broderie, de dentelle, de frises et de rubans… Il n’existe plus, hélas, que de vieilles dentellières. La plupart des merceries de mon coin ont mis la clef sous la porte et n’ont pu trouver de successeurs. Ils ont dû retirer leur enseigne, remplacée depuis par une boutique de prêt-à-porter puis par des ambulanciers.
Pour parler de rénovation et de consolidation de meubles anciens. Il s’agit de faire appel à un menuisier et surtout à un ébéniste dont le métier s’apparente à de l’art et tend à se raréfier.
L’école Boule, les Compagnons du devoir, l’école Estienne en forment-ils encore ? Si je vous parlais d’ébène, de laque et de bois de rose. A qui devrais-je m’adresser pour restaurer ou faire fabriquer un meuble avec ces matières dites nobles et ces essences rares, censées être protégées et non importées ?
Où irais-je chercher de la cire d’abeille qui nourrit parfaitement le bois ou le vernis marin qui entretient les entrelacs et les enluminures du secrétaire anglais du salon ? la quincaillerie du coin, le marchand de couleurs, la droguerie ont fermé leurs portes depuis longtemps. Je n’avais de cesse de me perdre dans le dédale de leur bric-à-brac allant du sol au plafond, jusqu’au grenier, qui sait ?
On y trouvait de tout : des produits ménagers spécifiques pour entretenir le chrome, le cuivre, l’étain, l’argent, l’inox, la miroiterie, de la peau de chamois, de l’essence de térébenthine, de l’huile de lin, de ricin, d’amande, de paraffine, de coude (je plaisante bien sûr), mais aussi du bleu de méthylène, du brou de noix, du blanc d’Espagne, et encore de l’eucalyptus pour les rhumes, des pastilles Vichy, des violettes d’Isigny, de la Marie-Rose…
Comment construirais-je la maison de mes rêves, avec colombages et encorbellements si je ne trouve plus de tailleurs de pierre, de charpentiers-couvreurs au zinc, au cuivre, à la tuile provençale, à l’ardoise vernissée, à la pierre auvergnate ou tout simplement au chaume ? Combien existe-t-il encore d’artisans capables de reproduire ce travail d’art ?
À propos de métiers d’art en voie de disparition… ceux des fabriques de presse à papiers, les imprimeurs utilisant les machines de Gutenberg avec leurs secrets de fabrication. Les métiers de brocheur, de coloriste, d’enlumineur, sont-ils encore présents dans des échoppes ayant pignon sur rue qui leur permettent d’être connus et reconnus et de perpétuer leur art dans les siècles à venir ?
Confectionner ou restaurer un ouvrage à l’ancienne est une passion qui ne devrait pas seulement être exercée par des artistes travaillant pour le ministère de la Culture, pour des musées. La technique basée sur celle d’antan permet l’utilisation des quatre couleurs : le bleu, le rouge, le jaune, le vert en se servant de quatre planches différentes.
On peut plancher sur le sujet encore longtemps en se coupant les cheveux en quatre… nous arrivons alors aux petits métiers de l’hygiène et du soin comme le barbier. Il est encore possible d’en trouver, non des Barbier de Séville mais des barbiers de luxe qui vous astiquent les moustaches comme dans la publicité du chocolat Lanvin réalisée avec tant d’originalité et la collaboration du peintre Dali ! Mais le « coupe-coupe » tend à se raréfier et à ne tenir que dans des mains expertes, habituées à son usage qu’il faudrait promulguer. Cette méthode de « tonte », disons du rasage est encore le top du top ! Elle rase de près et vous laisse une peau de bébé : la lame tranchante et brillante au soleil ne brille plus autant sous nos tropiques.
On pourrait dire que c’est « au poil ». Aussi parlons maintenant des poêles à charbon et de leurs livreurs : les bougnats ont quitté les quais de la Bastille et le Balajo voici bien longtemps. Les mines du Nord, du côté de Lens, sont devenues terrils, les fonderies ont
fermé laissant place aux éoliennes. Les mineurs sont partis vers d’autres cieux ou ont pris leur retraite, mais les corons existent toujours, habités par une descendance de mineurs de fond.
Pour aborder d’autres corporations de métiers d’art comme le travail du métal, il faudrait se pencher sur la forge et ses secrets.
D’autres petits métiers comme les laveurs de carreaux ambulants peuvent surgir en nuée et soudainement à un carrefour mais les cireurs de chaussures opèrent plutôt dans le Maghreb et dans les pays dits sous-développés ; ils ont quitté nos pavés laissant place aux quémandeurs « T’as pas deux euros ? » au lieu de « T’as pas cent balles ? » Actuellement avec l’inflation et la récession, les temps sont durs, alors on entend encore dans les métros « à votre bon cœur messieurs dames » avant qu’ils ne prennent la fuite en voyant débarquer les contrôleurs qui décodent mais ne poinçonnent plus nos tickets comme le poinçonneur des Lilas.
Nous assisterons peut-être à la disparition d’autres professions, rurales par exemple : l’éleveur, le fermier, grainetier, marchand de primeurs, horticulteur, viticulteur, emportés par le marasme économique international, le monopole des grandes firmes et les fermes ultra-moderne étrangères qui grossiront les flots du chômage et nous priveront de tous ces charmants élevages et petites exploitations.

Claudine
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Le bourrelier ou matelassier

Quand je songe au passé, je me dis que la vie a bien changé...
Je me revois petite fille, quand je vivais chez mes parents dans un vieil immeuble dépourvu du confort moderne. Et encore, nous avions  de la chance : nous avions des toilettes privées ! Ce n'était pas le cas de tout le monde dans les immeubles voisins, certaines familles devaient se partager sur le palier des toilettes dites « à la turc ».
La petit rue où nous habitions était très commerçante, il n'y avait pas de supermarché à l'époque, nous avions tout à proximité : un boucher, un boulanger, un épicier, un poissonnier, et même un bijoutier ! Et, chose qu'on ne voit plus de nos jours, également un marchand de couleurs et une  remmailleuse de bas.
La rue était calme en dehors des livraisons très matinales pour l'épicier, les voitures étaient encore rares. Aussi, on y voyait passer de temps à autres  des colporteurs qui criaient pour proposer leurs services, on les entendait bien, pas de double-vitrage et de fenêtre très hermétique non plus dans ces années-là. Il y avait ainsi par exemple  le rémouleur qui aiguisait les couteaux, le vitrier qui remplaçait les carreaux. Mais tout ça mon père savait faire, il était outillé.
Quand la saison le permettait, le bourrelier venait lui aussi proposer son travail et je me souviens que ma mère y avait eu recours pour rénover son matelas. Les matelas étaient alors en laine, ils s'affaissaient et se déformaient donc plus vite que ceux que nous connaissons aujourd'hui.
Dans la cour de l'immeuble, le bourrelier étalait une grande toile au sol, pour protéger des salissures le travail auquel il allait s'atteler. Il installait ensuite son outillage, la cardeuse, sorte de chevalet en bois muni d'une planche à gros clous et mue à la main. Le cardage manuel rendait la laine plus douce, plus soyeuse.
On descendait alors le matelas de mes parents. Le bourrelier le décousait et le vidait entièrement de sa laine, 25 kilos environ pour un matelas de deux personnes. La laine passait donc petit à petit à la cardeuse actionnée par la main du bourrelier, afin d'être étirée pour lui redonner son volume, son gonflant, sa souplesse.
Cette seule opération nécessitait environ 2 heures de travail. Ensuite, il s'agissait de remettre la laine dans ce qu'on appelait la toile à matelas, une toile de lin, rayée généralement.
Cette laine était répartie uniformément pour assurer le meilleur confort possible. Toutefois, il fallait savoir que s'agissant d'un matelas pour deux personnes, il convenait de mettre plus de volume de laine à la droite et à la  gauche du matelas. Logique quand on réfléchit, c'est là que vont peser les corps la nuit et donc là que se tassera plus vite la laine.
Le remplissage du matelas terminé, il fallait ensuite le recoudre entièrement en lui redonnant tout autour ses bourrelets très réguliers d'origine. Et pour le faire, le bourrelier utilisait une aiguille courbe très rigide, en acier trempé. Cette aiguille lui était aussi utile pour faire le capitonnage, soit coudre à divers endroits en traversant le matelas de part en part, des boutons, sortes de petits pompons de laine, c'est l'image que je garde en mémoire.
Le matelas terminé était magnifique et comme neuf une fois tout ce travail accompli, il donnait envie de se coucher dessus. Mais l'opération avait nécessité une journée entière de travail.
Cette profession n'existe plus sous cette forme, personne ne vient plus travailler dans ces conditions à domicile, nos matelas modernes à ressorts, en mousse ou en latex ne nécessitent plus un tel entretien.
Toutefois, le métier s'exerce toujours mais dans d'autres conditions. Il perdure dans le secteur de l'ameublement, du spectacle, d'entreprises artisanales ou industrielles, d'organismes culturels ou du patrimoine.
Pour l'exercer, un diplôme est nécessaire, qui va du niveau CAP ou BEP, à Bac en tapisserie d'ameublement, artisanat, et métier d'art (Bac Professionnel) ; ou également : un Brevet de compagnon.
Quand je repense à tout cela et que je compare notre vie d'alors à celle d'aujourd'hui, que je revois  arriver le premier frigidaire, la première machine à laver le linge, le téléphone, puis en dernier, car c'était un luxe superflu dans ses débuts, la télévision en noir et blanc,  j'ai l'impression d'être très, très vieille...
Et le monde évolue tellement vite, il me semble même qu'il accélère encore plus  à présent, avec Internet, le téléphone portable, la tablette... j'arrête là, ça va trop vite ! Pourvu que je continue à pouvoir suivre aussi...

Paulette
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Le berger de haute montagne

Le berger de haute montagne est en voie de disparition. Ce métier rude et ingrat ne tente plus les jeunes.
Passer cinq mois de l’année dans une cabane inconfortable, vivre dans l’isolement le plus complet, n’avoir pour toute compagnie que des moutons bêlants et capricieux, supporter l’humeur du climat montagnard, ces conditions de vie demandent une résignation, un sacrifice et surtout un détachement qu’on ne pouvait demander qu’aux vieux montagnards d’une génération désormais disparue.
Prosper était né à Coumecaude, ce qui signifie la combe chaude. C’était un hameau de Seix, village Couserans, sur le chemin du mont Vallier, qui prédisposait par la rigueur du climat, l’absence de confort et les dures conditions de travail, à la transhumance.
Son visage allongé, son nez camus l’apparentaient à ces divinités agrestes, les Faunes et les Sylvains. Ses cordes vocales avaient été longtemps exercées à lancer des appels aux chiens pour grouper les moutons, ramener les récalcitrants des sommets dangereux ou des pentes abruptes où ils se hasardaient.
Chaque années, au mois de mai, quand la neige avait fondu, que la température devenait plus douce et que les perce-neige et les crocus s’ouvraient en fleurs blanches et mauves au-dessus de la neige, il sentait, comme la gent ovine, l’appel de la montagne. Alors, rassemblant son troupeau, il lui faisait gravir, en formation serrée, les sentiers rocailleux qui le menaient à l’alpage. Les chiens, petits et vifs, servaient de serre-file, ramenaient les égarés, rappelaient à l’ordre les récalcitrants. Peu à peu, la troupe confuse des porteurs de laine, atteignaient la cabane et le Courtaou, vaste plateau où l’on rassemble les bêtes à la tombée de la nuit. La mule fermait la marche avec tout l’attirail des ustensiles et des provisions ménagères qui étaient entassées dans les deux hottes placées de chaque côté du bât.
Après trois heures de marche, berger et troupeaux arrivaient à la cabane. Les moutons commençaient à reconnaître les pâturages, le berger sa cabane, les chiens flairaient des traces d’isards qui avaient fui vers les cimes, ayant senti l’approche des intrus qui les avaient chassés… Et la première nuit montagnarde commençait…
Le soleil disparaissait derrière les monts, laissait les fonds dans l’ombre, éclairait les sommets, rougeoyait en haut des cimes, avant de laisser sa place à la nuit. La paix du soir et le silence lourd et intense de la montagne, planaient sur le plateau, incitant au repos.
Quelle était longue cette première nuit et comme elle était angoissante cette solitude qui ne faisait que commencer.
Prosper allumait le feu pour assainir un peu la cabane humide et vérifiait l’état des bas flancs. Il avalait rapidement une bouchée de pain avec quelques rondelles de saucisson et il s’endormait, après s’être assuré de la tranquillité et du repos de ses ouailles.
Le lendemain, dès l’aube, le pâtre se réveillait, allumait le feu pour chauffer son café, et, prévenant les moutons qui, sans l’attendre auraient filé vers les hauteurs, il les amenait au pâturage qu’il avait choisi.
Quel délice ! On enfonçait dans l’herbe jusqu’au ventre. Qu’il était bon ce foin odorant, qu’elles étaient délicieuses ces touffes de réglisse et de gentiane. Pendant que le troupeau s’égayait et broutait, Prosper n’ayant pour toute autre compagnie que ses deux chiens, jetait de temps à autre un regard attentif sur ses ouailles errantes, contemplait le paysage qu’il connaissait si bien. Incité par le calme et le recueillement de la haute montagne, il commençait la lente méditation qu’il  n’achevait jamais…
Il revenait le soir, rassemblait son troupeau et lançait des appels à ses chiens pour ramener les brebis les plus éloignées. Et le troupeau bêlant, poursuivi par les chiens, aboyant et mordant, rentraient vers la cabane pour passer la nuit sur le plateau. Quelques tintements de sonnailles, trois ou quatre bêlements plaintifs qui s’étouffaient dans le gosier et l’ombre de la nuit endormait le plateau.
Il faut dire que Prosper n’avait du solitaire que l’aspect extérieur. Il était forcé à cet isolement que sa tâche lui imposait. Il connaissait nommément les moindres rochers, les passages. Mais son existence n’était pas monacale et sa montagne n’avait rien d’une Thébaïde. Comme il était heureux lorsque des excursionnistes venaient l’arracher à sa solitude…
Quelle soirée, il passait ! Il n’était plus question de brebis et de chiens. Il faisait honneur aux provisions qui le changeaient de la chère frugale quotidienne. Il aimait particulièrement presser le ventre pansu des gourdes. Avec quelle gourmandise, il happait le filet rose qui tombait de leur bec fin.
Après avoir passé quarante ans de sa vie dans une cabane faite d’un amas de pierres amoncelées, sans aucun mortier, des branches entrelacées recouvertes de schistes lui servant de toiture.
Il allait enfin connaître une cabane bourgeoise avec de vrais murs, un châssis en bois des matelas remplaçant le grabat recouvert de paillasse : un refuge pour excursionnistes, jouxtait la cabane et promettait de joyeuses veillées.
Mais il ne devait pas longtemps connaître ce confort. Prosper est mort, non d’un accident de montagne, ni d’une bronchite mais d’une maladie commune qui est la rançon de la civilisation.
Dans sa longue agonie, il a souvent revu en pensée ses moutons, ses chiens, sa cabane et sa montagne.

Depuis son départ, vers les hautes cimes éternelles, il continue sa lente et solitaire méditation. Aujourd’hui, la cabane est fermée, le troupeau n’est plus jamais remonté, les alpages sont gras et touffus. Et dans ces jours de novembre, la neige recouvre le plateau, ensevelissant dans son suaire le souvenir du dernier pâtre de cabane d’Aula.

Marie-Christine
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Où sont passé nos poinçonneurs du métro à qui nous tendions nos tickets en disant merci comme   l’a si bien chanté Serge Gainsbourg avec sa chanson « Les poinçonneurs des Lilas » ?
Les receveurs des bus à plateforme qui avaient une petite machine accrochée à une ceinture dans laquelle ils introduisaient les tickets de transport puis tournaient une manivelle qui validait le titre ?   Il veillait à la montée et à la descente des usagers. C’était agréable d’effectuer le trajet accoudé sur  la plateforme !
Les placeuses de cinéma de quartier avec leur tailleur noir ? Elle contrôlait notre billet à l’entrée puis avec une lampe, nous conduisait dans la salle obscure jusqu’à une place vacante. Une fois rendue nous lui glissions un peu de monnaie dans la main. Elle revenait à l’entracte avec des friandises qu’elle vendait au spectateur. Dans les années 50, les esquimaux y étaient favoris. A présent, on  peut en acheter à sa guise.
Les charbonniers avec leurs voitures à cheval puis avec leurs camions ? Ils montaient les étages avec leur sac sur le dos. Souvent ils étaient noircis par le poussier. Ils livraient aussi des sacs de charbon  de bois, des paquets de fagots, puis plus tard ce fut des bidons de mazout.
Les motocrottes, motos asiatiques qui je crois, portaient aussi un autre nom : « caninettes ? ».  C’était la propreté de la capitale. On risquait moins de marcher ou de glisser sur les excréments de nos animaux de compagnie ! Depuis qu’elles ont disparu, les inconvénients reviennent. C’est pourquoi il est question que ces motocrottes reprennent du service ! Sous réserve…
Qui se rappelle de la publicité du vin Postillon ? Habiller en postillon, tout de rouge, il déambulait sur son fiacre conduisant les chevaux, fier et droit. Les badauds s’arrêtaient pour l’admirer.
Il y avait des livreurs de bière et de vin qui livraient avec des voitures à cheval.
L’été, il y avait les livreurs de pains de glace du temps où, par forte chaleur, les réfrigérateurs étaient rares dans les foyers. On les mettait dans des glacières ou dans des bassines pour un peu de fraîcheur éphémère mais bien venue.
Les matelassiers qui venaient chercher les matelas ? Ils roulaient une cardeuse. Ils décousaient la pièce, mettaient la laine du matelas par petite quantité dans la cardeuse en en rajoutant si besoin, le tout étalé sur une toile neuve fournie par le client, puis à deux ou trois personnes, ils cousaient la toile avec de grandes alênes. A la nuit tombante, ils rapportaient le matelas rajeuni à ses propriétaires.
Les affûteurs de couteaux qui passaient dans les cours d’immeubles en hurlant : «affûteurs, affûteurs, descendez vos ciseaux, vos couteaux ! Affûteurs, affûteurs !» Ils avaient des clients intéressés qui descendaient faire affûter ciseaux et couteaux. Puis arriva : Moulinex, Seb proposant des affûte- couteaux électriques.
Les petites guérites qui abritaient les remailleuses de bas ? Les cordonniers, les hommes-sandwich, les vendeurs de journaux, de loterie nationale ? Où sont-ils donc ? Et ceux qui passaient en criant : «  Reboucher tout : casseroles, lessiveuses percées ! » On leur apportait l’objet. Ils vissaient un bouche-trou métallique et c’était reparti !
Les joueurs d’orgues de barbarie qui venaient agrémenter le travail des ménagères avec les chanteurs de rues. On leur envoyait un peu de monnaie par les fenêtres. Ils nous remerciaient d’un geste de la main. Parfois, ils chantaient magnifiquement bien. Ils vendaient aussi les paroles des chansons nouvelles. Certains, certaines ont dû faire carrière car leur voix  portait à des huitième étage sans micro !
Où sont passés tous ces gens, tous ces petits métiers, bien utiles à cette époque révolue, qui apportaient un peu de piquant dans la monotonie  de la vie ? La gardienne qui montait le courrier tous les jours à 10 heures avec laquelle on pouvait échanger quelques mots, parfois plus.
Que de manque de contact humain !

Mireille

1 commentaire:

Valérie a dit…

Bravo à toutes et tous pour ces très beaux textes...Les métiers anciens ont beaucoup inspirés !!!!!!!!!!!!